Le temps de la médecine / Poissons de tous les mois
LES PREMIERES notions scientifiques étayant l'intérêt alimentaire du poisson datent des observations faites dans les années 1970 chez les Inuit, quand on a cherché à comprendre pourquoi ils bénéficient d'une incidence basse de maladies cardio-vasculaires, alors qu'ils ont une alimentation composée presque exclusivement de poissons gras et des lipides sanguins élevés.
Les études épidémiologiques se sont ensuite succédé, confirmant l'effet protecteur contre les maladies ischémiques coronaires d'une alimentation riche en poisson. Le risque diminuerait globalement de 20 % pour ceux qui font des repas de poisson deux à trois fois par semaine. Par exemple, la Nurse's Health Study, qui a suivi 8 488 femmes pendant seize ans, montre que plus la consommation de poisson est importante, plus le risque de maladies cardio-vasculaires est faible. D'autres grandes études, comme Monica ou Zutphen, ont rapporté des observations comparables.
On a attribué le beau rôle aux acides gras polyinsaturés à longues chaînes de la série oméga 3, et parmi eux à l'EPA (acide eicosapentaénoïque, à cinq doubles liaisons) et au DHA (docosahexaénoïque, à six doubles liaisons), composants abondants dans les chairs des poissons gras. Ils entraînent des teneurs plasmatiques faibles en acide arachidonique, avec une diminution des médiateurs pro-inflammatoires.
Moins d'infarctus mortels et de morts subites.
Les recherches biologiques ont identifié une action sur l'agrégation plaquettaire, un effet antithrombotique, un effet sur la fonction endothéliale, une participation aux processus anti-inflammatoires et une réduction des triglycérides.
Les études d'observation convergent elles aussi pour souligner les bénéfices de l'alimentation riche en poisson. Les poissons gras, comme le thon, la sardine, le maquereau et le saumon, ont les propriétés les plus intéressantes. Leur consommation au moins une fois par semaine est associée chez les plus de 65 ans à une réduction de 44 % du risque d'infarctus fatal. La Physician's Health Study, dont les observations ont duré dix-sept ans, fait apparaître une réduction de la mort subite : les taux d'oméga 3 dans le sang sont inversement corrélés à la survenue de mort subite, avec une réduction du risque qui peut atteindre 81 %.
On a invoqué un effet antiarythmique, mais les essais de supplémentation chez des patients à risque (200 sujets porteurs d'un défibrillateur, par M. Taitt et coll.) n'ont pas permis d'étayer cette hypothèse (pas de diminution des épisodes d'arythmie).
C'est dans le domaine cardio-vasculaire que l'intérêt du poisson a été le plus étudié, mais cet aliment aurait d'autres atouts. La consommation de poisson pourrait être utile aussi dans la prévention de certains types de cancer. Une inhibition de la croissance cellulaire a été trouvée in vitro pour la prostate, le foie et le côlon.
Dans l'« American Journal of Clinical Nutrition », un travail italien a montré, par une comparaison sur dix ans entre des mangeurs de poisson et ceux qui n'en mangent que rarement, des relations inverses avec les cancers digestifs, du sein, de la thyroïde, des ovaires. Une diminution du risque relatif de 50 % existe entre les plus gros consommateurs et les plus faibles.
Un chercheur Japonais, T. Takezaki, s'intéresse de près aux relations cancer-poisson. Il a trouvé une réduction du risque des adénocarcinomes pulmonaires pour le poisson cuit ou cru, mais non salé ou séché. Ainsi qu'une réduction du cancer du sein (risque relatif de 0,75), chez les femmes consommant cinq fois par semaine du poisson.
P. Terry et coll. (Stockholm) observent pour leur part, avec le même type de comparaisons, un nombre significativement moindre de cancers de la prostate chez les mangeurs de poisson.
La femme enceinte peut également bénéficier d'une consommation de poisson. Encouragées à en manger pendant leur grossesse dans le cadre d'un travail danois, des femmes ont constaté que leur risque d'accouchement prématuré était significativement diminué.
Un essai d'intervention.
Si les études d'observation sont multiples, il manque une confirmation par un essai d'intervention. C'est dans cet objectif que l'étude SU.FOL.OM3 (SUpplémentation en FOLates et OMéga 3) a été entreprise au début de l'an dernier*. Elle a pour objectif de tester chez les sujets à risque les effets de supplémentation sur l'incidence ou la récidive de maladies thromboemboliques cardio- ou cérébro-vasculaires. Dans cet essai, dont l'Inserm est le promoteur, 3 000 personnes ayant un antécédent d'ischémie vasculaire (infarctus du myocarde, angor instable ou AVC ischémique) vont recevoir des compléments à doses nutritionnelles et être suivies pendant cinq ans, avec bilans annuels. Quatre groupes sont formés : le premier reçoit une association de folates (500μg/j) et de vitamines B6 (3 mg/j) et B12 (20 μg/j) ; le deuxième des acides gras oméga 3 (1 g/j, avec un ratio EPA/DHA de 2/1) ; le troisième l'association des deux et le quatrième un placebo.
* Le protocole de l'étude a été rédigé par Pilar Galan, Geneviève Potier de Courcy, Louise Mennen, Paul Preziosi et Serge Hercberg.
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