DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
LE CENTRE de traitement ambulatoire (CTA) de Pointe-Noire fait, au sein de l'hôpital public Adolphe-Sicé, un peu figure de havre de paix. Situé en retrait, sur les lieux de l'ancienne morgue, réhabilité grâce au financement du groupe Total, il jouxte l'immense pavillon des maladies infectieuses au surnom local évocateur, le « Titanic ». Pourtant, ici comme là-bas, le drame humain n'est jamais très loin. Comme tous les CTA, celui de Pointe-Noire prend en charge le dépistage, le suivi médical et psychosocial des patients infectés par le VIH ou malades du sida. C'est le deuxième centre du Congo, créé en 1999 après celui de Brazzaville, le plus ancien de toute l'Afrique, qui a ouvert en 1994. Ces centres sont nés de la volonté d'un homme, le Pr Marc Gentilini, président depuis 1988 de l'Opals (Organisation panafricaine de lutte contre le sida) et depuis 1997 (son mandat s'achève à la fin de l'année) de la Croix-Rouge française. Depuis la convention signée entre les deux organismes en 1998, une dizaine de centres ont vu le jour au Maroc, au Sénégal, au Burkina-Faso, au Niger, au Gabon et au Congo. L'expérience s'est récemment étendue à l'Asie (au Cambodge).
Structures légères intégrées dans l'environnement communautaire, en liaison avec un centre hospitalier de référence, elles offrent aux pays d'accueil une expertise et des facilités opérationnelles pour qu'ils puissent eux-mêmes prendre en charge leurs malades.
Seuls les plus graves sont traités par ARV.
Ce mardi 16 novembre, ils sont nombreux dans les allées du CTA de Pointe-Noire. Les deux médecins du centre, les Drs Michel Mankou et Alexia Fila, reçoivent chacun entre 15 et 20 patients par jour. La file active est aujourd'hui de 1 500 patients, dont 200 sont sous antirétroviraux. Le centre dispose d'une pharmacie avec une gestion rigoureuse des stocks pour éviter les ruptures de traitement. « Actuellement, seuls les patients les plus graves parmi ceux qui en ont besoin bénéficient des antirétroviraux », affirment les médecins : l'augmentation du nombre de patients sous ARV ne peut se faire que très progressivement, en fonction des ARV disponibles. Pour le suivi, les médecins disposent d'un laboratoire capable de mesurer le taux de lymphocytes mais aussi la charge virale (PCR en temps réel). Un psychologue, une assistante sociale assurent la prise en psychosociale.
L'un des piliers du centre est certainement l'assistant sanitaire, Bakala Nazaire. Intermédiaire entre les patients et le personnel soignant, il gère les stocks et assure la délivrance des ARV, coordonne le programme d'éducation thérapeutique (outils mis au point par l'association Forma santé grâce au financement des Laboratoires GlaxoSmithKline) et est responsable des consultations d'observance. Surtout, depuis avril dernier, il anime les groupes de parole qui réunissent chaque dernier vendredi du mois les patients suivis au centre. L'originalité du CTA tient en effet à la participation active des patients. Avec le psychologue ou l'assistante sociale, ils accueillent les nouveaux, ceux qui viennent se faire dépister. « Beaucoup sont adressés par des médecins mais de plus en plus viennent d'eux-mêmes », assure-t-on. Edith, Florette, David, Trésor ou Dominique, tous affirment que le CTA a changé leur vie. « Avant, j'étais en exil, rejeté par tout le monde », avoue l'un deux. Aujourd'hui, « je suis un malade debout ». Albertine, elle, n'est pas sous ARV : « Je ne suis pas malade, mais je reconnais que je suis séropositive et je l'accepte », déclare-t-elle.
Sa présence semble rassurer les autres. Marius est aujourd'hui président de l'association Espoir. Il est le premier à avoir annoncé publiquement sa séropositivité, il y a tout juste un an, lors de la précédente Journée mondiale : « Il faut briser le tabou, en finir avec la stigmatisation et les croyances erronées sur la maladie. Etre séropositif n'a rien à voir avec la sorcellerie », assène-t-il, convaincu. Avec les autres, ils organisent des visites à domicile, lorsque certains ne viennent pas à leur rendez-vous ou parce qu'ils savent qu'un des leurs ne peut plus se déplacer. « Nous le faisons toujours discrètement pour que la famille ne se doute de rien. Entre nous, nous savons nous y prendre », expliquent-ils. Leur solidarité est palpable.
« Nous avons les mots pour expliquer ».
L'association Espoir comprend 245 membres, dont 45 sous ARV, qui s'occupent de donner des vivres à ceux qui en ont besoin et quelquefois payent la consultation ou le traitement des plus démunis (5 000 F CFA*/mois pour le traitement et 1 000 F pour la consultation, même modulé en fonction des revenus, cela reste cher). Ceux qui connaissent bien la maladie servent de relais auprès des autres. Chantal, 41 ans, est au CTA depuis quatre ans et sous ARV depuis quelques mois. Elle a été formée pour faire du counselling lors du pré- et du posttest. « Nous sommes passés par là, nous avons les mots pour leur expliquer », dit-elle. Leur exemple est un signe d'espoir pour ceux qui apprennent leur séropositivité lors de la remise des résultats. « En général, ils acceptent la proposition de prise en charge », affirme-t-elle. L'histoire de Chantal est exemplaire des liens qui se nouent entre le CTA et les patients. Depuis quelques jours, l'une des psychologues est en congé et c'est Chantal qui la remplace. « J'ai pu gagner la confiance des autres », avoue-t-elle.
Depuis juillet 2002, le CTA s'est agrandi d'une unité mère-enfant, incluse dans le programme de prévention de la transmission materno-fœtale soutenue par la Commission européenne. Là aussi, les patientes viennent de plus en plus nombreuses : 9 000 ont déjà été dépistées à l'UME et dans les sept centres de santé intégrés qui sont associés au projet. Parmi elles, 24 % ont entre 15 et 19 ans. La prévalence du VIH parmi les femmes enceintes dépistées est de 8,6 % (3,9 % chez les 15-19 ans). « Les mères arrivent en général à 5-6 mois de grossesse. Si le taux de CD4 est inférieur à 200/mm3, elles sont mises sous trithérapies : AZT (ou DDI en cas d'anémie) , 3TC et névirapine. Les autres sont revues une fois par mois et bénéficient d'un traitement par AZT dès la 28e semaine », explique le Dr Adolphe Mafoua. Toutes accouchent sous protocole (AZT seul ou avec névirapine). Chez les enfants, l'AZT est commencé dès la 4e heure (puis pendant 7 jours) associé à 1 comprimé de névirapine (à J1 ou J3). Le dépistage est réalisé par PCR à 1 mois, puis à 3 mois et confirmé par une sérologie à 18 mois. Le taux de séropositivité est de 5,2 % chez les enfants. Ils sont suivis à l'UME jusqu'à l'âge de deux ans puis sont pris en charge par le CTA. « Cependant, la mortalité reste importante au cours des deux premières années, environ 50 % », assure le Dr Olivier Marsy, médecin volontaire de la Croix-Rouge française, 35 ans, au Congo avec femme et enfants, qui participe au projet depuis la pose de la première pierre de l'unité. « Nous venons chez Olivier », disent certaines patientes. Beaucoup (près de 90 %) acceptent l'allaitement artificiel (l'eau et le lait sont donnés au centre jusqu'aux 6 mois du bébé) même si, chez elles, il n'est pas toujours facile de le faire admettre. L'aide de l'assistante sociale, « Maman Delphine », et du psychologue est alors précieuse. L'UME a aussi son groupe de parole et son association (Tayuwana). Les femmes s'entraident lors des consultations de counselling et lors des visites à domicile. Le dialogue avec leur mari n'est pas toujours facile : « Je n'ai pas réussi à lui dire, avoue l'une d'entre elles. Alors, je culpabilise. » Suzanne, la présidente de l'association, l'a annoncé dès le début : « Il sait et ne veut ni se faire dépister ni utiliser de préservatif. » Depuis son dépistage, elle a eu deux enfants, tous les deux séronégatifs, Noam (13 mois) et Séphora (1 mois) : « Cela prouve que nous pouvons être mère et séropositive. C'est un espoir pour les autres. » Le sida n'est pas « synonyme de mort », clament-elles. Pourtant, peu l'avouent à leur entourage et, lorsque le conjoint est polygame, les difficultés sont encore plus grandes : « Les autres femmes restent des rivales. »
A un peu plus d'une heure d'avion de Pointe-Noire, le Gabon dispose aujourd'hui de 3 CTA. Celui de Libreville a ouvert en 2001, les deux autres (Franceville et Port-Gentil) en 2004. Contrairement au Congo, le pays n'a pas connu les soubresauts de la guerre civile et les services de santé sont plus engagés dans la lutte contre l'épidémie. La création d'un fonds national de solidarité thérapeutique de 1,5 million de francs CFA par an permet l'achat des ARV et des réactifs. La pharmacie centrale reçoit les demandes de mise sous traitement et se charge de les distribuer, après examen des dossiers (critères cliniques). Les CTA sont construits et équipés par l'Etat, qui prévoit d'étendre le concept à tous les départements (8 au total). « Depuis 2001, 2 000 patients ont été mis sous ARV. Ils payent en fonction de leurs revenus. Pour les plus démunis, le traitement est gratuit », affirme le Dr Gabriel Malonga Mouelet, directeur du plan national de lutte contre le sida.
Edith Lucie Bongo a été la première présidente de l'Organisation des premières dames d'Afrique contre le sida (Ofdas, créée en juillet 2001, regroupe le Gabon, le Ghana, le Malawi, la Mauritanie et le Rwanda). Elle-même médecin (son sujet de thèse portait sur le VIH), elle a impulsé un vaste mouvement de sensibilisation : campagne d'affichage mural et caravane qui circule dans toutes les régions du pays. Formation médicale à la Ptme, dépistage gratuit des volontaires et des femmes enceintes, causeries-débats pour les jeunes et pour les adultes sont organisés. L'initiative semble couronnée de succès et les jeunes adhèrent.
Comme des pestiférés et des monstres.
Car la stigmatisation est encore forte. Au CTA de Libreville, situé au sein du centre hospitalier et géré par la Croix-Rouge, les patients sont, là aussi, très impliqués. Peu cependant acceptent de témoigner à visage découvert, car souvent c'est la mort sociale.<\!p>La plus ancienne, Sidonie Siaka, connaît sa séropositivité depuis quatorze ans. C'est la première à l'avoir reconnue publiquement : « Ça fait mal. Il existe encore des endroits où l'on nous considère comme des pestiférés ou des monstres. Je suis autonome, je travaille. Mon premier mari est décédé du sida, mais j'ai un compagnon séronégatif. Le contrat, c'est le préservatif », explique-t-elle. Toutes n'en sont pas là. L'arrivée du CTA et des traitements a toutefois changé bien des choses : « Les gens changent d'aspect et la vie continue », affirme Geneviève, 39 ans, traitée depuis deux ans. Elle a gagné plus de 30 kg depuis sa mise sous traitement (50 kg contre 19). La voix de Sidonie se fait tout à coup plus lasse : « Nous ne pouvons pas nous projeter dans l'avenir. Nous vivons au jour le jour, un peu comme dans une prison. Il faut que le sida devienne une maladie comme une autre, il faudrait trouver un vaccin. »
* 1 euro=650 francs CFA.
L'engagement de Total
Pointe-Noire est la capitale économique du Congo en raison de la concentration des compagnies pétrolières. La guerre civile, qui a touché le pays en 1997, a relativement épargné la région. Mais la ville a connu un afflux de réfugiés en provenance de Brazzaville qui se sont installés dans les faubourgs appelés la « cité », par rapport à l'ancien centre colonial. Les programmes de prévention et la qualité des soins ont été fortement détériorés. Les habitants connaissent des problèmes de transport (les ruelles de la cité tentaculaire sont souvent coupées par des crues d'eau), d'alimentation en eau et en électricité. La prévalence du VIH est de 7,2 % pour l'ensemble du pays, de 12 % à Pointe-Noire.
La compagnie Total s'est engagée après la guerre dans la lutte contre le VIH : reconstruction du CTA de Brazzaville, très endommagé, et réhabilitation de l'ancienne morgue de Pointe-Noire. Elle finance les centres à hauteur de 500 000 F CFA par an et sur trois ans. « A la fin des années 1990, la situation était dramatique : un collaborateur par mois mourait du sida », explique le Dr Philippe Cheval, médecin du centre médical de l'entreprise (une des meilleures cliniques du pays). Des campagnes de dépistage volontaire (suivi à 90 %) ont alors été organisées. Les salariés et leurs ayants droit (3 600 à 4 000 personnes) sont pris en charge. Parmi eux, 100 séropositifs, dont 35 sous ARV. Grâce à une convention avec le CTA de Pointe-Noire, les patients y reçoivent leur traitement.
A Lambaréné, l'esprit du Dr Schweitzer
Libreville, capitale administrative du Gabon, compte environ 600 000 habitants, soit environ la moitié de la population générale du Gabon. La séroprévalence y est de 7,7 % chez les 15-49 ans. Avec 1,3 million d'habitants pour un territoire grand comme la moitié de la France, le pays a longtemps eu une politique nataliste. Depuis deux à trois ans, à cause de l'épidémie de VIH/sida, les messages contre les rapports précoces (11-13 ans), surtout avec des adultes, sont diffusés. Près de 100 000 préservatifs sont consommés chaque mois.
La distribution des richesses est aujourd'hui inégale. Le sida est associé à la pauvreté. La famille élargie est souvent sous la responsabilité financière d'un chef. Lorsque ce dernier décède, c'est tout le clan qui est touché. Un proverbe du pays dit que, « au Gabon, un chef d'entreprise est plus pauvre qu'un citoyen lambda ».
A 235 km de Libreville, à Lambaréné, l'hôpital garde l'esprit de son fondateur, le Dr Albert Schweitzer (1875-1965), prix Nobel de la paix en 1952 et considéré comme « le premier des humanitaires ». Surplombant l'ancien hôpital (en cours de réhabilitation), sa maison et sa tombe, modestes, sont surveillées par des pélicans (son animal favori). La partie plus récente de l'hôpital est encore fonctionnelle et compte 250 lits. Lambaréné va accueillir un centre de traitement mais avec un fonctionnement un peu différent des autres CTA. « Nous avons une longue tradition d'autonomie, explique le directeur Damien Mougin. Nous n'assurons que les programmes que nous finançons nous-mêmes. » La station d'épuration de l'eau du fleuve en est un exemple. Le Dr Schweitzer l'a voulu pour que l'hôpital soit capable de fabriquer ses propres liquides de perfusion. « Après une longue discussion, la fondation a choisi de garder l'esprit de la léproserie. Il n'y aura pas de bâtiment identifié, trop stigmatisant, mais des unités de soins éclatées dans tout l'hôpital », ajoute Damien Mougin.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature