LA CIBLE RÉCEPTORIELLE des antidépresseurs tricycliques (ADT) est très large. Ils inhibent la recapture de la sérotonine, de la noradrénaline, ils sont anticholinergique, antimuscarinique, antagoniste des α-adrénorécepteurs et antihistaminiques. Sur le plan pharmacocinétique, ils sont caractérisés par une résorption longue, un effet de premier passage hépatique (40 à 70 %), une liaison importante aux protéines plasmatiques et une élimination hépatique relativement longue avec d’importantes variations individuelles et de nombreuses interactions. L’existence de métabolites actifs a toujours posé le problème de savoir s’il fallait doser le produit parent ou le métabolite lors des monitorings thérapeutiques qui étaient réalisés à l’époque en hospitalisation. Les principales contre indications étaient le risque de glaucome et de rétention urinaire par obstacle prostatique.
Des effets indésirables majeurs et redoutés ont cantonné l’usage ADT aux patients sévèrement déprimés. La toxicité cardiaque, irréversible, est le premier de ces effets indésirables. Une surconsommation volontaire était d’autant plus aisée qu’au début le nombre de comprimés présents dans une boîte suffisait en cas d’ingestion à provoquer des troubles de la repolarisation et de la conduction le plus souvent mortels. Ces surdosages étaient fréquents et le seul traitement, symptomatique, se réduisait au lavage gastrique éventuellement associé à une perfusion de lactate de sodium pour éviter les troubles de la repolarisation. Dans un second temps, la réduction du nombre de comprimés contenus dans une boîte a participé à la diminution du nombre de décès par autolyse. Les répercussions au niveau du système nerveux ont représenté l’autre frein à la prescription d’ADT. Ces effets indésirables étaient tant centraux – tremblements, crises convulsives, insomnies et prise de poids – que périphériques – sécheresse buccale, tachycardie, arythmie, troubles génito-urinaires, troubles sexuels, hypotension, sueurs, bouffées de chaleur. Enfin chez ces patients atteints de maladie dépressive et traités par ADT, le risque suicidaire par désinhibition motrice, l’apparition d’un état maniaque ou un délire chez les sujets psychotiques étaient toujours à craindre.
Une place réduite pour les inhibiteurs de la monoamine-oxydase.
L’arsenal thérapeutique de cette époque incluait également les inhibiteurs de la mono amine oxydase (IMAO) qui étaient soit non sélectifs soit sélectifs si tant est qu’ils soient utilisés à dose faible. Les IMAO non sélectifs avaient une efficacité comparable aux ADT. Leur fixation était irréversible, leur maniement difficile et leur contre indications nombreuses (HTA, atteinte hépatique, alcoolisme, sujets âgés, aliments riches en acides aminés…) tant et si bien que les spécialistes ont cessé de les utiliser. En revanche, les IMAO de type A ont des risques d’interaction réduits et entraînent moins d’altérations cognitives que sous ADT.
L’arrivée des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.
C’est sur ce terrain que sont apparus les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Leur efficacité est proche de celle des tricycliques avec pas ou peu d’effets anticholinergiques. Comme le constate Michel Bourin, « les choses évoluant, les ISRS sont devenus des médicaments de première intention. Les antidépresseurs tricycliques sont désormais réservés aux échecs thérapeutiques ».
Les indications des ISRS portent sur le traitement de toutes les formes de dépression, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles paniques avec ou sans agoraphobie, l’anxiété généralisée et la phobie sociale. Les précautions d’emploi concernent la levée d’inhibition et le switch éventuel vers la manie ou l’hypomanie chez les patients bipolaires même si le phénomène est moins fréquent qu’avec les tricycliques. Les ISRS ont une forte fixation protéique et sont à utiliser avec précaution chez certains patients épileptiques et en cas d’insuffisance hépatique. Les thérapeutes sont encore parfois confrontés au syndrome de sevrage notamment dans le cas de traitement de troubles anxieux. Les effets indésirables de ces molécules sont surtout caractérisés par des troubles digestifs à type de nausées, de vomissements, de constipation et d’anorexie. Un syndrome sérotoninergique en relation avec des sensibilités individuelles peut survenir en cas de posologies importantes. Les interactions médicamenteuses sont nombreuses mais, toutefois, sans caractère de gravité majeur. Il faut cependant être attentif au risque d’hyponatrémie notamment chez les sujets âgés et aux interactions avec les antivitamines K.
Les ISRSs ont fait progresser la prise en charge thérapeutique.
La prise en charge de la maladie dépressive a bénéficié de cette nouvelle classe thérapeutique efficace et qui a permis de diminuer les effets secondaires graves favorisant une meilleure adhésion au traitement.
La plupart des ISRSs ont un effet clinique dose dépendant, ainsi en cas de non-réponse ou de réponse insuffisante faut-il augmenter la posologie. Toutefois, il faut savoir, contrairement au dogme initial, que tous les ISRSs ont une action inhibitrice plus ou moins importante sur les récepteurs à la noradrénaline et plus la dose augmente plus cette action s’amplifie. « La dopamine serait-elle la voie finale commune ? », s’interroge M. Bourin. Les interactions entre le système sérotoninergique et dopaminergique sont confirmées. L’activité des ISRSs sur le système dopaminergique se ferait via un certain sous types de récepteurs 5-HT et les agonistes dopaminergiques augmentent la réponse antidépressive des ISRSs.
S’il reste encore des interrogations à résoudre, la dépression doit être conceptualisée comme une maladie récurrente nécessitant un traitement aigu et à long terme ce qui permet d’utiliser aisément les ISRSs. L’emploi facile d’antidépresseurs sans toxicité marquée a contribué à la diminution voire à la disparition presque complète des épisodes maniaques.
D’après l’intervention du Pr Michel Bourin, Université de Nantes, dans le cadre du Forum sur la dépression organisé par « le Quotidien du Médecin » sous la présidence du Pr Jean-Pierre Olié avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck.
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