PAR LE Pr VINCENT COULOIGNER*
LES CELLULITES cervicales profondes extensives sont des infections à risque vital, caractérisées par une diffusion rapide aux différents espaces cervicaux, puis au médiastin. Dans le cadre des pharyngites, l'histoire clinique comporte souvent deux phases. Dans un premier temps, une infection de l'espace préstylien se développe à partir d'une angine ou d'un phlegmon péri-amygdalien. Les signes cliniques de cette infection cervicale profonde sont la fièvre, des douleurs pharyngées unilatérales ou prédominant d'un côté, un trismus, une tuméfaction parotidienne et/ou sous-mandibulaire. L'examen à l'abaisse-langue montre une tuméfaction de la paroi pharyngée latérale déjetant l'amygdale en dedans.
La deuxième phase, qui correspond au développement d'une cellulite cervicale profonde extensive, débute habituellement de un à trois jours après l'apparition de l'infection préstylienne. La cellulite profonde extensive doit être suspectée devant l'association d'un syndrome septique sévère et de signes d'atteinte de plusieurs espaces cervicaux ou médiastinaux.
Les plus fréquents sont :
– sur le plan fonctionnel, un trismus, un torticolis et/ou une limitation des mouvements latéraux du cou, une dyspnée ou une dysphonie ;
– sur le plan clinique, une tuméfaction cervicale et/ou faciale, un placard cutané inflammatoire mal limité et rapidement extensif (peau rouge, indurée, douloureuse ou parfois insensible en cas de nécrose), une crépitation sous-cutanée signant la production de gaz (facteur pronostic péjoratif), un bombement de la paroi pharyngée lors de l'examen à l'abaisse-langue.
Lorsque l'infection a gagné le médiastin, des douleurs interscapulaires peuvent être présentes, mais ce signe est inconstant.
Le patient doit être hospitalisé d'urgence en réanimation et pris en charge par une équipe hospitalière pluridisciplinaire expérimentée (ORL, réanimateurs, infectiologues, microbiologistes, radiologues).
La tomodensitométrie cervico-thoracique avec injection de produit de contraste est systématique.
L'antibiothérapie doit être débutée dans l'heure.
Le traitement médical associe les mesures de réanimation générale à une antibiothérapie à posologies élevées (voir tableau).
On peut recourir à des céphalosporines en cas d'allergie aux pénicillines car, d'une part, l'immense majorité des allergies supposées aux antibiotiques, en particulier des rashs cutanés, ne correspondent pas en fait à des phénomènes allergiques (rashs d'origine infectieuse, intolérances, interactions drogues, bactéries…) et, d'autre part, les allergies croisées entre les pénicillines et les céphalosporines sont très rares (< 10 %). En revanche, l'usage de céphalosporines est déconseillé en cas d'antécédents de manifestations sévères sous pénicilline : choc anaphylactique, syndrome de Stevens-Johnson, épidermolyse toxique, manifestations multiviscérales. En cas d'allergie aux céphalosporines, on pourra utiliser des pénicillines, pour des raisons symétriques de celles justifiant l'emploi des céphlosporines en cas d'allergie aux pénicillines. En cas d'allergie aux bêtalactamines (pénicillines + céphalosporines), un avis auprès d'une équipe d'infectiologie est recommandé.
Les lincosamides sont à ajouter en présence de signes toxiniques du fait de leur efficacité contre le choc toxique streptococcique et staphylococcique. En revanche, leur utilisation systématique fait courir le risque de surinfections à Clostridium difficile avec rectocolite pseudo-membraneuse.
Les antalgiques utilisés ne doivent pas être des dépresseurs respiratoires. Chez l'adulte, une héparinothérapie préventive utilisant les héparines de bas poids moléculaires peut être prescrite, notamment dans les infections à Fusobacterium necrophorum, germe à risque de thrombophlébite de la veine jugulaire interne et de métastases septiques à distance (syndrome de Lemierre). Les corticoïdes sont uniquement prescrits en cas d'obstruction respiratoire et doivent dans tous les cas être limités à une dose unique. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont à proscrire (avis d'experts). Le recours à une oxygénothérapie hyperbare ou à l'injection d'immunoglobulines polyvalentes est optionnel. En cas de difficultés respiratoires, il faut préférer une intubation prolongée à une trachéotomie systématique en urgence (avis d'experts). L'intubation peut être difficile, en particulier en cas de trismus. Le traitement chirurgical est systématique. Il doit être précoce, répété et radical. Tous les espaces aponévrotiques cervicaux sont ouverts, ce qui nécessite une large incision cervicale bilatérale. Le médiastin supérieur peut être atteint par voie cervicale. En revanche, les infections médiastinales basses atteignant la crosse de l'aorte et/ou la carène nécessitent une thoracotomie associée. Les tissus nécrosés sont excisés, des lavages abondants sont effectués et des lames de drainage sont laissées en place. Après le geste chirurgical initial, les pansements sont répétés sous anesthésie générale, en service de réanimation ou au bloc opératoire, pour lavages et excision des tissus nécrosés. La voie d'abord est refermée à distance, une fois l'infection parfaitement contrôlée. Un suivi à long terme est nécessaire en cas de séquelles neurologiques (paralysies des nerfs mixtes avec troubles de la déglutition…) ou musculaires (atrophies).
* Hôpital Necker - Enfants-Malades, AP-HP, université René-Descartes, Paris-V.
Facteurs de risque des complications infectieuses cervicales des pharyngites
Les facteurs de risque des complications infectieuses cervicales des pharyngites sont : le sexe masculin, l'âge (21-40 ans), la consommation de tabac (Dunn N et coll. Br J Gen Pract 2007;57:45-9.). En dehors d'un contexte de varicelle (Souyri C et coll. Clin Exp Dermatol 2008;33:249-55), le rôle favorisant des anti-inflammatoires non stéroïdiens n'est pas démontré. En revanche, ils peuvent masquer les symptômes et donc retarder la prise en charge (Guibal F et coll. Arch Dermatol Res 1998;290: 628-33). Au cours des cellulites, la prescription de corticostéroïdes durant plusieurs jours augmenterait le risque de survenue d'une médiastinite (Mateo J et coll. Ann Fr Anesth Reanim 2006;25:975-7). L'absence d'antibiothérapie dans les pharyngites (Petersen I et coll. BMJ 2007;335:982-4), de même que les états d'immunodéficience n'apparaissent pas comme des facteurs de risque dans la littérature.
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