LES STATISTIQUES relatives aux ventes de journaux indiquent une contraction qui n’a fait que s’accentuer depuis quelques années ; c’est principalement la presse quotidienne nationale qui subit cette sérieuse érosion, alors que se créent chaque année des titres nouveaux sans aucun rapport avec la presse dite sérieuse.
Les efforts pour s’adapter au goût du lectorat sont pourtant intenses et multiples ; des raisons objectives, comme le rôle croissant joué par la radio et la télévision, expliquent largement le déclin de la presse politique. En même temps, on doit reconnaître qu’elle n’a pas su se renouveler ni cherché à imiter la presse anglo-américaine, qui sépare l’information du commentaire.
Des articles difficiles.
Les quotidiens nationaux français sont des projets politiques bien avant de constituer des projets industriels. Qu’on ne s’étonne pas qu’ils finissent par périr. D’autant que le contexte culturel, dominé par le son et l’image, ne favorise pas la lecture et encore moins la lecture d’articles parfois difficiles à lire.
La paradigme du journaliste politique français est un patron qui accepte à la fois de financer à perte un journal et de s’empêcher délibérément d’y exercer le moindre contrôle. Ces patrons-là ne courent pas les rues et, même si c’était le cas, ils ne toléreraient pas, à un moment ou un autre de la vie du journal, qu’il défende des idées opposées aux leurs.
Ce n’est même pas un conflit d’ordre idéologique avec Jean-Luc Lagardère, le propriétaire de « Paris Match », qui vaut à Alain Genestar de perdre son poste de directeur de la rédaction du grand hebdomadaire. M. Genestar a fait pour son journal ce que M. Lagardère attendait de lui : qu’il ait des scoops « people » ; il en avait un, en août 2005, avec des photos de Cécilia Sarkozy en compagnie d’un autre homme que le ministre du même nom. M. Sarkozy s’est fâché tout rouge, et ne l’a pas caché à son ami Lagardère, lequel n’a pas supporté l’exclusivité de trop qui risquait de le brouiller avec un grand de ce monde aux destinées présidentielles.
Nous ne sommes nullement enthousiasmés par une presse dont la « qualité » repose principalement sur des révélations concernant la vie privée des gens ; si M. Genestar tombe pour une bien mauvaise cause, il demeure que M. Lagardère met la presse au service de son amour-propre ; et qu’en plus il a l’esprit de l’escalier puisqu’il lui a fallu dix mois pour sévir contre son directeur de la rédaction. Pendant ces dix mois, Mme Sarkozy est revenue au bercail et file le parfait amour avec son mari. Lequel aurait pu passer un coup de fil à son ami pour lui demander la grâce de M. Genestar.
LE PARADIGME DU JOURNALISTE FRANCAIS C'EST UN PATRON QUI FINANCE LE JOURNAL SANS LE DIRIGER
Directeur historique.
Il ne l’a pas fait, ce qui donne la mesure de sa rancune qu’on peut comprendre sur le plan général (la presse people est souvent odieuse et malfaisante) mais pas à propos du cas précis de M. Genestar, par ailleurs journaliste doué : fort heureusement, il y a aussi de bonnes choses à lire dans son hebdomadaire.
Il y en a aussi dans « Libé », auquel son lectorat est très attaché. C’est un journal qui a un grand nombre de « fans », mais sans doute pas assez, puisqu’il ne boucle pas ses fins de mois depuis longtemps. Son directeur historique et emblématique, le célèbre Serge July, a parfaitement compris que « Libé » ne pouvait survivre que s’il trouvait des capitaux. C’est ainsi que, après diverses tribulations ou l’ancien mao a convolé en justes noces avec le plus pur des capitalismes, il a rencontré un emblème différent, David de Rothschild, qui a investi dans « Libé » deux douzaines de millions d’euros en moins d’un an et les a perdus intégralement. Au bout de ce coûteux parcours, M. de Rotschild a demandé à M. July de quitter le journal, sans paraître se douter qu’en se privant de son nom il risque de se priver aussi de quelques recettes. Ce qui gêne l’actionnaire, comme on dit aujourd’hui, c’est que M. July a toujours protégé sa rédaction ; mais s’il la protégeait, c’était pour que le journal reste conforme à lui-même, un mélange un peu chaotique d’insolence et d’irrespect, et la défense d’un certain nombre d’idées. Lesquelles peuvent aller parfois jusqu’au sectarisme ou tout au moins manquer de logique, et sont d’ailleurs en décalage par rapport à ce que Serge July est devenu aujourd’hui, une sorte de « rad-soc » conscient des avantages de l’économie de marché et qui a mis des tonneaux d’eau bourgeoise dans son vin révolutionnaire. Ceux qui voient M. July à la télévision sont infiniment plus nombreux que ceux qui lisent « Libé », et ne s’étonnent plus d’entendre l’ex-patron de journal poser de sages questions à des ministres.
En aucun cas, M. July ne pouvait être politiquement gênant pour David de Rothschild. La seule raison qui puisse expliquer le départ du directeur, c’est que M. de Rothschild s’apprête à porter le fer dans la plaie financière et qu’il fallait d’abord lever l’obstacle que représente un homme plus attaché à l’emploi et à la diversité des talents qu’à l’équilibre des comptes.
Nostalgie.
Si « Libé » commence à compter ses sous, cela signifie que tout le reste de la presse devra le faire. Au « Figaro », racheté par Serge Dassault, Nicolas Beytout, directeur de la rédaction, a réussi, jusqu’à présent, à empêcher le propriétaire d’exprimer ses idées baroques ou de donner une ligne politique au journal, qui a toujours été de droite et le reste. Apparemment, M. Dassault grommelle sans sévir, mais ne sera-t-il pas tenté, l’année prochaine, de faire du « Figaro » un brûlot politique ? Si jamais il lisait ces lignes, nous lui conseillerions de laisser M. Beytout, qui ne manque ni d’autorité ni de talent, d’assurer à la fois le contenu rédactionnel et la ligne de son quotidien.
Bref, l’époque n’est pas glorieuse pour une presse écrite qui a connu des jours meilleurs, surtout avant la guerre, et n’a cessé de péricliter depuis l’invasion des foyers français par la télévision. Gardons-nous ici de toute nostalgie et évitons de raisonner en vieux grognard qui raconte ses souvenirs de « Combat » : il n’empêche qu’il n’y a rien de plus beau qu’un journal, sinon un journal quotidien.
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