« C’EST UNE avancée dans notre pays mais pas pour les autres pays », peste le Pr René Frydman. Pourtant, le chef du service de gynécologie-obstétrique et de médecine de la reproduction à l’hôpital Béclère de Clamart, qui a mis au monde le premier bébé-éprouvette français, est heureux d’annoncer la naissance de Jérémie et Keren (3,2 kg et 2,8 kg), « après un épisode passager de congélation au moment où ils étaient ovules ». C’est une première française mais des centaines d’enfants dans le monde sont nés après congélation d’ovocytes, et ce dès1986.
En France, la congélation d’ovocytes s’est développée pour préserver la fertilité de patientes atteintes de cancer dont les fonctions ovariennes risquaient d’être lésée. À l’hôpital Béclère, 35 d’entre elles ont déjà bénéficié d’une congélation d’embryons dans ce cadre. Toutefois, pour le Pr Frydman, la « situation n’est éthiquement pas acceptable ». Raison de son courroux, « l’imbroglio juridico-politique et idéologique qui a mis notre pays en retard dans l’innovation thérapeutique par rapport à l’ensemble des autres pays ». En effet, la seule technique autorisée dans l’hexagone est celle de la congélation lente.
Une survie de 100 %.
Depuis la fin des années 1990, une autre technique a été mise au point par les Italiens et les Australiens puis développée, à partir de 2005, par des Japonais : la vitrification des ovocytes. « La congélation lente utilise une diminution très progressive de la température avec un risque, comme dans le cas de la congélation de l’embryon, de formation de petits cristaux de glace qui abîment les structures cellulaires. La vitrification permet de passer d’une phase liquide à une phase solide de manière très rapide et sans formation de cristaux de glace, ce qui permet une survie des ovocytes congelés quasiment de 100 %, contre 80 % dans le cas de la congélation lente », explique le Dr Nelly Achour-Frydman, chef du service d’histologie embryologie cytogénétique au CHU Antoine Béclère. De plus, « les expériences espagnoles et italiennes montrent que ces ovocytes ainsi vitrifiés ont exactement la même compétence en termes de fécondation, d’aptitude au développement que s’ils n’avaient pas été congelés », note encore celle qui a coordonné l’équipe biologique.
Point de vitrification ovocytaire en France. « Nous proposons une méthode qui donne beaucoup d’espoirs à des jeunes femmes sans aucune certitude qu’elle soit la plus efficace », regrette le Pr René Frydman. Une comparaison des deux méthodes s’impose. « Nous avons déposé trois demandes afin de pouvoir comparer les deux techniques de congélation. Nous n’avons jamais eu de réponse. Il nous a seulement été dit que la situation devait être étudiée sur le plan législatif car la vitrification était contraire à l’esprit et à l’interprétation de la loi », indique le responsable du pôle Femme-Couple-Embryon-Enfant de l’hôpital Béclère. En effet, la loi de bioéthique de 2004 interdit toute recherche sur l’embryon. « Or toute innovation sur les gamètes est assimilée par le Conseil d’État comme une recherche sur l’embryon. C’est la quadrature du cercle, car cela interdit toute innovation thérapeutique dans la FIV », regrette-t-il. Il assure avoir, en vain, sollicité plusieurs entretiens avec la ministre de la Santé et n’avoir eu que l’oreille de conseillers.
Une percée thérapeutique.
Il fallait avancer, « secouer le cocotier », dit-il aujourd’hui. Le Pr Renato Franchin, responsable de l’organisation de la médecine de la reproduction, souligne la finesse de l’approche. La technique de congélation d’ovocytes a été utilisée dans le cadre du traitement d’une infertilité chez une patiente qui devait bénéficier d’une FIV. « L’idée a été de rentabiliser le cycle préparatoire au transfert d’embryons congelés. Une stimulation ovarienne est souvent nécessaire afin de préparer l’endomètre. L’idée du Pr Frydman a été d’utiliser cette phase de la FIV pour récupérer les ovocytes afin de les congeler. C’est ce qui a été réalisé chez cette patiente. Nous avons obtenu deux ovocytes qui ont permis la congélation », précise le Pr Renato. Cette première tentative de FIV n’ayant pas abouti à une grossesse, « les ovocytes ont été décongelés lors d’un cycle ultérieur afin d’obtenir des embryons et de les transférer dans l’utérus », poursuit le clinicien. Une approche « intelligente » pour une « vraie percée thérapeutique », s’enthousiasme-t-il, dont ont déjà bénéficié 8 patientes.
L’équipe de Béclère assure avoir résisté au désir de braver la loi mais elle souhaite que ce premier succès suscite le débat, un mois après le prix Nobel de médecine décerné au père de la FIV, Robert Edwards, et quelques semaines avant la discussion au parlement de la loi de bioéthique. Le Pr Frydman se réjouit de ce que le nouveau projet de loi présenté récemment introduit la possibilité d’une amélioration des techniques d’assistance médicale à la procréation. La congélation ovocytaire ultrarapide devrait être autorisée. Toutefois, il souhaiterait une loi « plus dynamique » et « plus ouverte », craignant que la proposition de définir une liste des procédés autorisés n’alourdisse la démarche. « Il serait plus simple de laisser à l’Agence de la biomédecine le soin de recevoir et de répondre aux demandes des médecins, biologistes ou chercheurs », souligne-t-il.
Utilisation libertaire.
Au-delà de l’aspect législatif, le débat de société mérite d’être lancé et les perspectives ouvertes par la technique doivent être prises en compte. Pour 10 à 15 % des couples qui font face à une infertilité, l’avancée est réelle. « Il ne serait pas nécessaire de féconder tous les ovocytes pour avoir un stock d’embryons. Pour certains couples qui se posent des questions éthiques quant au devenir des embryons congelés, il peut être plus simple de conserver des ovules », souligne le Pr Frydman.
Le praticien évoque aussi la possibilité d’une banque publique d’ovocytes congelés à l’instar des banques de spermes. On estime qu’entre 4 000 et 5 000 couples ont besoin d’ovocytes, or les dons d’ovocytes sont rares en France. Ce qui pose la question de l’anonymat et de la rémunération des donneuses, comme cela se fait dans d’autres pays qui peuvent ainsi bénéficier de donneuses plus jeunes. « La donneuse doit-elle être déjà mère, comme l’exige la loi, ce qui, compte tenu de l’âge plus tardif des premières grossesses, ne contribue pas à augmenter le nombre de donneuses ? Doit-elle être en couple, peut-elle décider seule du don d’ovules. J’ai personnellement saisi le Conseil consultatif national d’éthique de cette question », indique le Pr Frydman. L’enjeu est d’éviter « le tourisme médical ». « Un certain nombre de centres privés en Europe accueillent les patients que nous ne pouvons pas prendre en charge faute de dons », poursuit-il.
Enfin se profile aussi la question de l’autoconservation des ovocytes hors de toute fertilité chez les femmes qui n’ont pas encore de projet d’enfant. « La congélation ovocytaire permettrait de figer le temps et de contrer le vieillissement. Cette utilisation libertaire va décharger les femmes de la contrainte de l’âge », relève le Pr Renato. « En tant que femme et en tant que praticien, je trouve assez injuste de se retrouver à 36 ans-37 ans avec une fertilité en baisse, dit le Dr Nelly Achour-Frydman. Injuste par rapport à l’homme qui peut concevoir jusqu’à 80 ans, injuste parce que la société a changé et qu’on demande à la femme de faire des études, de trouver un emploi, de s’installer dans la société. Le projet d’enfant arrive souvent tard. Il faut que les femmes prennent conscience de ce problème de baisse de leur fertilité. Il faut aider les femmes. »
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