NOUS COMMENCERONS par indiquer que nous-mêmes n’avons pas vu le film, mais que nous sommes tout disposés à croire ce que nous en dit l’excellente critique du « Quotidien ». Nous ajouterons toutefois que la question des Africains qui ont combattu pour la France n’est pas d’hier : non seulement nous avons oublié les anciens combattants africains de la Seconde Guerre mondiale, mais nous n’avons pas non plus été très généreux pour les harkis, qui n’ont pris le parti de la France contre le FNL que pour être massacrés lors de l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962 ou pour subir un destin hexagonal misérable ou médiocre ; alors que nous aurions dû être bouleversés depuis longtemps par le choix de ces militaires de deuxième zone, anciens combattants ou harkis, qui ont fait à la République une confiance aveugle, mais rarement méritée.
On ne voit pas comment le chef de l’Etat et son gouvernement ignoraient la discrimination dont souffrent les anciens soldats venus de leur continent pour libérer la France occupée par les nazis. Que le film de M. Bouchareb le leur rappelle est une très bonne chose. Que, obéissant à un élan spontané, l’Etat ouvre sa bourse, c’est parfait. Mais enfin, on ne gouverne pas avec la candeur d’un adolescent qui découvre brusquement un épisode de l’histoire.
« Il faut faire quelque chose ».
On lit dans les gazettes que M. et Mme Chirac se sont rendus à la première d’« Indigènes » en compagnie de l’un des acteurs, Jamel Debbouze, qu’ils ont donc vu le film et que, fort émue, Mme Chirac aurait dit : «Jacques, il faut faire quelque chose.» Nous ne pouvons que louer la première dame de France pour son grand coeur, d’autant que son influence est époustouflante : tout à coup, la France ne parle plus que de ce sujet. L’alignement des retraites des vétérans d’Afrique sur celle des Français aura été une mesure fulgurante. C’est un peu cher (110 millions d’euros par an), a reconnu Hamlaoui Mekachera, le ministre des Anciens combattants, mais cela en vaut la peine. Jamais peut-être une mesure n’aura autant tardé (47 ans), jamais elle n’aura été prise aussi vite. Jamais les fastidieux circuits de la bureaucratie n’ont été aussi courts. Jamais décision n’aura été aussi consensuelle. Jamais personne n’a trouvé 110 millions qui traînaient au fond de sa poche, sauf le peuple français.
Le plus surprenant, peut-être, c’est le nouvel emballement du Premier ministre : ce vieux secret un peu honteux est à peine mis au jour que M. de Villepin est intarissable sur le sujet. Et d’annoncer solennellement que 57 000 retraites et 27 000 pensions vont être immédiatement revalorisées.
JAMAIS UNE MESURE N'AURA AUTANT TARDE, JAMAIS ELLE N'AURA ETE PRISE AUSSI VITEUn enthousiasme sélectif.
L’histoire contient deux enseignements : que l’on peut obtenir d’un gouvernement tout ce que l’on veut si on réussit à émouvoir l’épouse du président ; et que, hélas, nos enthousiasmes sont bien sélectifs, bien émotifs, bien partiaux. Qui a soulevé, en cette occasion, décidément unique, le problème des harkis, dont beaucoup croupissent encore dans des camps ? Que vont penser tous ceux qui revendiquent, depuis les défenseurs des handicapés jusqu’aux malades du sida : faut-il faire un film sur tous ceux-là pour qu’on leur accorde ce dont ils ont besoin ? La poche de l’Etat est-elle assez vaste pour que l’on y puise les fonds nécessaires au redressement de tous les torts ? N’y a-t-il pas d’autres priorités sociales ? S’il est profondément juste d’honorer ces braves soldats d’antan, n’est-il pas injuste d’ignorer tous ceux qui souffrent en France ?
Enfin, n’y a t-il pas là comme un fait du prince, quand un voeu du président de la République à 110 millions l’unité est exaucé en moins d’une semaine ?
Bien entendu, nous répéterons à l’envi que nous approuvons l’adoption de la mesure décidée par M. Chirac. Nous nous demandons seulement si cette manière monarchique de disposer des fonds publics n’est pas anachronique ; s’il n’y a pas là la forme de gestion la plus simpliste. On s’écrie: «Oh, les pauvres!» et, hop, on leur donne une pièce. Ravi, le peuple applaudit. C’est bien la peine d’avoir un gouvernement et un Parlement, des décrets et des lois. C’est Alice au pays des merveilles ou, mieux, Peter Pan : il suffit de faire un rêve pour qu’il devienne réalité.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature