À LA SURFACE du corps, l'épiderme se renouvelle continuellement et forme une barrière qui prévient la perte des fluides corporels et le protège contre l'invasion des micro-organismes et toxines.
La régénération continuelle de l'épithélium stratifié repose sur la capacité d'autorenouvellement des cellules souches localisées dans la couche basale, à la face la plus interne de l'épiderme.
Le changement doit être maintenu définitivement.
Lorsque les cellules basales issues de la division montent vers les couches supérieures de l'épiderme (devenant suprabasales), faute de place au niveau de la couche basale, elles perdent leur potentiel prolifératif et s'engagent dans un programme de différenciation terminale pour générer les cellules de la barrière cutanée. Puis les cellules meurent et desquament, et sont continuellement remplacées par les cellules migrant à partir des couches plus internes.
Répressions de p63.
«Une fois qu'une cellule proliférative est sortie de la couche basale et s'est engagée à produire la barrière cutanée, il est important qu'elle maintienne définitivement ce changement», explique le Pr Elaine Fuchs, de l'université Rockefeller, à New York, qui a dirigé ce travail.
«Dans cette étude, nous avons découvert un mécanisme important qui rend cette décision plus rapide et définitive. Ce mécanisme est médié par l'une des molécules micro-ARN les plus abondantes dans la peau: le micro-ARN-203 (miR-203) .»
L'équipe montre que le miR-203 est absent dans les cellules souches de la peau, mais que son expression est induite dans les cellules suprabasales et s'intensifie avec la stratification et la différenciation des cellules de l'épiderme, mais aussi des follicules pileux et des glandes sébacées.
En altérant chez la souris l'expression spatio-temporelle du miR-203, les chercheurs ont pu découvrir que le miR-203 favorise la différenciation épidermique, en supprimant la production de p63, une protéine conservée qui maintient la prolifération des cellules souches dans les épithéliums stratifiés.
MiR-203 réprime directement la production de p63, en se liant a l'ARNm p63 et en empêchant sa traduction.
En conséquence, dès que miR-203 est exprimé, n'importe quel ARNm p63 encore présent dans les cellules quittant la couche basale devient rapidement inhibé et incapable de produire la protéine p63.
«Nos résultats suggèrent que le miR-203 définit une frontière moléculaire entre les cellules souches basales prolifératives et les cellules suprabasales en fin de différenciation, garantissant la bonne identité des couches voisines», notent les chercheurs.
Selon les chercheurs, cette découverte pourrait avoir des implications pour le carcinome spinocellulaire, un cancer fréquent touchant la peau et les muqueuses orales de la tête et du cou.
En effet, le miR-203 est exprimé dans les cellules différenciées aussi bien de l'épiderme cutané que des tissus épithéliaux oraux.
«Une caractéristique du cancer est une croissance anormale qui n'est plus contrôlée par les mécanismes normaux destinés à inhiber cette croissance. Puisque le miR-203 est une molécule qui inhibe très puissamment la prolifération, la perte de son expression devrait être associée à une croissance anormale», explique le Dr Yi, premier signataire de l'étude publiée dans « Nature ».
«Nous allons chercher à savoir si une faible expression de miR-203 est associée aux carcinomes spinocellulaires, et si la réintroduction du miR-203 permet d'inhiber la croissance de ces cancers», laisse entrevoir le Pr Elaine Fuchs.
Son action puissamment inhibitrice sur la croissance des cellules épithéliales et sa petite taille font de miR-203 un candidat idéal pour des applications thérapeutiques.
Yi et coll., « Nature », 3 mars 2008, DOI: 10.1038/nature06642.
Du poisson à l'homme
«L'existence des micro-ARNs chez les mammifères (dont l'homme) n'a été découverte qu'en 2001», souligne le Pr Fuchs.
«Nous ne connaissons pas encore grand-chose sur l'expression, la fonction et l'importance physiologique de ces petites molécules ARN.
«Cette étude apporte la première preuve en faveur d'une fonction physiologique importante que possède un seul micro-ARN dans la régulation du développement de la peau et du comportement des cellules souches épidermiques. MiR-203 est particulièrement intéressant car sa séquence, son expression et ses cibles ARNm semblent avoir été conservées au cours de l'évolution des vertébrés, du poisson à l'homme (plus de 400 millions d'années d'évolution) . Ainsi, le miR-203 est d'origine ancienne, apparaissant à un moment où les animaux sont passés de l'exosquelette, où ils fabriquaient et sécrétaient des protéines formant une armure protectrice à la surface de leur corps, à l'endosquelette, où la surface corporelle des couches de l'épiderme confère encore une protection, mais d'une manière plus flexible etdynamique.»
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