«IL EXISTE très peu d'exemples dans lesquels on peut améliorer la mémoire, en particulier par délétion de gènes», souligne dans un communiqué le Dr Nahum Sonenberg de l'université McGill (Montréal), qui a dirigé l'équipe. «C'est une pièce, petite mais importante, du puzzle que constitue le fonctionnement de la mémoire.»
«La prochaine étape sera d'identifier de petites molécules qui simulent cet effet favorable sur la mémoire», fait-il entrevoir.
«Si l'on parvient à produire une telle pilule, ajoute le Dr Mauro Costa- Mattioli, premier signataire de l'étude, on aurait là une nouvelle méthode pour traiter les personnes souffrant de maladie liée à la mémoire, telle que la maladie d'Alzheimer. Ce médicament ne guérirait pas la maladie, mais il pourrait soulager les symptômes de perte de mémoire. »
Souvenirs et plasticité synaptique.
Les souvenirs sont formés lorsque l'activation répétée des neurones conduit au renforcement durable des connexions (ou synapses) entre les neurones. Ce processus, que l'on appelle plasticité synaptique, constitue la base cellulaire de l'apprentissage et de la mémoire.
Comme le rappellent les chercheurs, la mémoire et la plasticité synaptique ont deux composantes.
L'une, provoquée par des protocoles de faible entraînement, ne donne que des phénomènes transitoires : à savoir la mémoire à court terme (qui dure de quelques minutes à quelques heures) et la phase débutante de la mémorisation à long terme (de une à trois heures).
La seconde composante, qui suit un entraînement solide ou répétitif, active des mécanismes qui stabilisent la mémoire et les changements synaptiques, et donne la mémoire à long terme (qui peut durer des jours, des semaines ou des années).
Des machineries moléculaires assez différentes, largement conservées d'une espèce à l'autre, sous-tendent ces deux composantes : des modifications de protéines préexistantes sont suffisantes pour des changements transitoires, tandis que la synthèse de nouvelles protéines (qui dépend de la transcription des gènes en ARNm, et de la translation des ARNm en protéines) est requise pour des changements synaptiques prolongés et la mémoire à long terme.
Sonenberg et Costa-Mattioli avaient précédemment découvert une première preuve génétique du rôle important que joue la régulation de la synthèse des protéines (au niveau de la traduction) dans la formation de la mémoire à long terme.
En effet, on sait que la phosphorylation du facteur elF2alpha (facteur d'initiation de la traduction) inhibe la traduction générale, et ne stimule que la traduction de ATF4, qui inhibe l'expression des gènes (médiée par CREB) requis pour la formation de la mémoire à long terme.
Or Sonenberg et Costa-Mattioli avaient découvert que des souris privées de la kinase qui phosphoryle elF2alpha présentent une meilleure plasticité synaptique et mémoire.
«Cela laissait supposer que la baisse de phosphorylation d'elF2alpha améliorait le stockage des souvenirs», explique le Dr Costa-Mattioli.
Dans l'étude publiée dans « Cell », les chercheurs ont voulu confirmer cette hypothèse.
«Nous avons utilisé une approche pharmacogénétique bidirectionnelle pour examiner le rôle de la phosphorylation d'elF2alpha dans la plasticité synaptique et l'apprentissage», notent-ils.
Ils ont d'abord étudié une souris mutante hétérozygote pour le gène elF2alpha, qui présente une baisse de phosphorylation d'elF2alpha.
Ces souris mutantes se révèlent plus douées que les souris normales pour l'apprentissage spatial. Ainsi, lorsqu'elles sont entraînées à nager vers une plate-forme cachée (Water Maze Test), les souris mutantes sont capables après plusieurs jours d'entraînement de trouver la plate-forme plus rapidement que les souris normales.
Un parallèle humain.
Le Dr Costa-Mattioli offre le parallèle humain suivant : «Si une personne devait lire une page d'un manuel scolaire, il lui faudrait plusieurs lectures pour la mémoriser. L'homologue humain de ces souris mutantes mémoriserait tout de suite l'information.»
Ces souris mutantes se montrent aussi être plus performantes dans un test de «conditionnement de la peur».
Enfin, l'étude de coupes hippocampiques montre que le seuil pour déclencher la mémoire à long terme est abaissé chez ces souris mutantes.
Dans un second temps, les chercheurs ont étudié des souris normales traitées par une molécule qui accroît la phosphorylation d'elF2alpha (le Sal003, qui prévient la déphosphorylation d'elF2alpha, est injecté dans l'hippocampe).
Dans cette situation inverse (augmentation au lieu de la baisse de la phosphorylation dans l'expérience génétique), les souris traitées réussissent moins bien sur les tests de mémoire à long terme, comparées aux souris normales. La stimulation répétée chez ces souris traitées ne déclenche que la plasticité synaptique à court terme.
Ces deux expériences montrent donc que la mémoire à long terme est facilitée par la baisse de la phosphorylation d'elF2alpha, tandis qu'elle est entravée par l'augmentation de la phosphorylation d'elF2alpha.
«Ces résultats confirment l'idée selon laquelle la phosphorylation d'elF2alpha constitue un point clé bidirectionnel du contrôle de la mémoire», souligne le Dr Costa-Mattioli.
Comme le notent les chercheurs, «ces données étayent solidement la notion que, dans des conditions physiologiques, une baisse de phosphorylation d'elF2alpha constitue une étape cruciale pour l'activation de l'expression génique qui mène aux changements synaptiques à long terme indispensables pour la formation de la mémoire. Nos données suggèrent que ATF4 est un régulateur important de ces processus».
«Cela soulève également la possibilité intéressante que des régulateurs de la traduction puissent servir de cibles thérapeutiques pour améliorer la mémoire, par exemple dans des troubles accompagnés de perte de mémoire», ajoutent-ils.
Costa-Mattioli et coll. « Cell », 6 avril 2007, p. 195.
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