LES GÈNES que nos parents ne nous ont pas transmis pourraient influencer l’expression de notre propre génome. Oui, vous avez bien lu ! Une équipe de chercheurs de l’Inserm (U636, université de Nice-Sophia Antipolis) vient en effet de montrer comment la souris pouvait transmettre une mutation à sa descendance sans pour autant lui transmettre le gène responsable de cette mutation. Les mécanismes à l’origine de ce phénomène contraire aux lois de Mendel sont encore largement inconnus, mais les travaux de Rassoulzadegan et coll. suggèrent qu’ils pourraient impliquer l’activité de petites molécules d’ARN, transmises de génération en génération via les gamètes.
Un petit rappel de génétique s’impose : nous possédons tous deux copies de chacun de nos gènes. La première nous a été transmise par notre mère, la seconde par notre père. Le plus souvent, ces deux copies (ou « allèles ») fonctionnent indépendamment l’une de l’autre. Cependant, dans de rares cas, des instructions codées par l’une des deux copies vont modifier le fonctionnement du deuxième allèle. Ces instructions peuvent, par exemple, commander l’extinction de l’expression de la seconde copie du gène. Dans des situations encore plus rares, ces instructions peuvent être transmises à la descendance, même si l’allèle qui les code n’est pas transmis. Pour reprendre l’exemple précédent, l’allèle éteint peut être transmis et rester éteint même en l’absence de la copie qui commandait son extinction. On parle alors de « paramutation ».
Le bout de la queue et les pattes blanches.
L’équipe niçoise a étudié la paramutation chez des souris génétiquement modifiées, porteuses d’un allèle mutant, non fonctionnel, du gène Kit. Cette mutation est létale à l’état homozygote, mais les souris hétérozygotes sont viables. On les distingue facilement des souris non mutantes car elles ont l’extrémité de la queue et les pattes blanches (les animaux non mutants ont un pelage uniformément brun).
Rassoulzadegan et coll. ont croisé ces souris hétérozygotes avec des souris non mutantes. Les lois de Mendel voudraient que seule la moitié des souriceaux issus de ces croisements présente le phénotype mutant « queue et pattes blanches ». Pourtant, ce phénotype est apparu dans la descendance des souris hétérozygotes avec une fréquence beaucoup plus élevée. Une analyse moléculaire du génome des jeunes souris visiblement mutantes a révélé qu’une partie d’entre elles possédait contre toute attente deux allèles fonctionnels du gène Kit. Ainsi, malgré leur génotype sauvage, ces animaux présentent le phénotype mutant d’un de leurs deux parents.
A la recherche d’un événement moléculaire pouvant expliquer ce phénomène épigénétique étrange, Rassoulzadegan et coll. ont étudié l’expression du gène Kit chez les souris hétérozygotes et chez leurs descendants « paramutés ». Les deux types d’animaux expriment deux fois moins ARNm Kit que les souris non mutantes. Cependant, les cellules des souris mutées et paramutées contiennent une importante quantité d’ARNm Kit de longueurs anormales, résultant de défauts de commencement ou de terminaison de la transcription, d’altérations des processus de maturation post-transcriptionels ou encore d’événements de dégradation ou de clivage des ARNm matures.
Spermatides et spermatozoïdes.
L’accumulation des ARNm Kit de tailles anormales est particulièrement remarquable dans les spermatides et les spermatozoïdes. Rassoulzadegan et coll. ont fait l’hypothèse qu’elle pouvait être à l’origine du phénomène de paramutation : les ARNm Kit anormaux contenus dans les spermatozoïdes sont en effet transmis à la descendance au cours de la fécondation. Les plus petits de ces ARNm pourraient alors se comporter comme des ARN interférents ou d’autres types de micro-ARN, connus pour perturber l’expression génétique. Ces perturbations conduiraient à l’expression du phénotype « queue et pattes blanches », même en présence de deux copies fonctionnelles du gène Kit.
Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont injecté des ovocytes fécondés de souris non mutantes avec des ARNm obtenus à partir de souris mutantes (ARNm totaux) ou avec des petits ARN spécifiques du gène Kit. La majorité des souriceaux nés de ces expériences avait la queue et les pattes blanches.
Certes, ces travaux ne suffisent pas à démontrer de manière formelle que la transmission d’un phénotype par paramutation dépend de l’activité inhibitrice de molécules d’ARN anormales retrouvées dans les gamètes. Mais ils suffisent à le suggérer fortement.
La paramutation étant observée aussi bien dans la descendance des mâles que dans celles de femelles hétérozygotes, des expériences complémentaires devront être conduites pour rechercher la présence ARN anormaux dans les ovocytes des souris femelles mutées. Par ailleurs, des travaux complémentaires seront nécessaires pour déterminer le rôle exact et le mode d’action de ces ARN dans la transmission des paramutations.
M. Rassoulzadegan et coll., « Nature » du 25 mai 2006, pp. 469-474.
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