Les mammifères doivent une partie de leur succès en matière d'évolution aux échanges harmonieux d'informations entre les femelles et leur progéniture. Des interactions intenses ont lieu entre la mère et les petits pour leur alimentation : toutes les femelles mammifères ont des modes évolués de stimulation et de guidage des petits vers le sein et les petits possèdent des moyens coévolutifs complémentaires adaptés au succès de l'opération.
Benoist Schaal et coll. (centre européen des sciences du goût à Dijon), équipe française connue au niveau international pour ses recherches dans les domaines du goût et de l'odorat, publie dans « Nature » une découverte essentielle pour la compréhension de la chimie comportementale, discipline où l'on connaissait déjà le rôle clé des odeurs.
Les chercheurs sont parvenus à caractériser un signal moléculaire et à mettre en évidence sa nature phéromonale.
La lapine Oryctolagus cuniculus
Ils se sont focalisés sur la lapine Oryctolagus cuniculus qui « offre une possibilité unique de comprendre un mécanisme régulateur du comportement du nouveau-né chez les mammifères ». En effet, la lapine a un comportement maternel unique, car elle nourrit ses petits par intervalles fractionnés de 4 à 5 minutes une fois par jour pendant deux semaines après la naissance. Comme la survie de la progéniture dépend de la prise de lait pendant les deux premiers jours de la vie, les petits ont besoin d'un indicateur sensoriel fiable pour localiser le téton maternel.
Schaal et coll. l'identifient sous la forme d'une substance, le 2-méthylbut-2-enal (2MB2), qui est synthétisé par la glande maternelle et libéré dans le lait pour obtenir une réponse comportementale complexe chez le lapereau, ce qui lui permet de se diriger au bon moment pour s'attacher au sein maternel. Le 2MB2 possède les cinq attributs d'une phéromone : simplicité chimique du signal, réponse comportementale sans ambiguïté, haute sélectivité, spécificité d'espèce et couplage stimulus-réponse non conditionnel.
« Ce rapport est destiné à servir de repère dans le champ de l'écologie et des neurosciences du comportement », commente l'éditorialiste Elliott M. Blass (Boston).
B. Schaal et coll. ont réalisé un fractionnement du lait maternel de lapine par chromatographie gazeuse. L'influence de chaque fraction sur le comportement des petits a été évaluée.
Un comportement de recherche
La première activité induite est un comportement de recherche par un mouvement de la tête pour atteindre le téton maternel. La réponse au 2MB2 est spécifique et se distingue de celles induites par les vingt autres fractions du lait.
Un déclin de la réponse en parallèle exact avec le temps corrobore la découverte ; comme le 2MB2 est volatile, au bout de 90 minutes, l'effet attractif sur les lapereaux s'épuise. Tout comme le fait d'ôter le composé du lait de lapine, qui ne provoque plus alors la réponse stéréotypée.
Une vérification est faite avec du lait frais ou du colostrum d'autres espèces animales, qui n'ont pas l'effet spécifique du 2MB2. L'effet semble indépendant de l'alimentation de la mère lapine, car il ne s'exerce pas par l'intermédiaire du liquide amniotique, où se retrouve la composition de repas maternel.
Les auteurs soulignent des différences de comportement entre espèces. Chez les ratons, les substances induisant la tétée varient rapidement, alors que, chez les lapereaux, le 2MB2 continue à provoquer l'attachement du petit au téton à 4 jours d'âge.
Il en va sans doute chez les humains comme chez les rats : les deux espèces sont omnivores et ont besoin de contacts prolongés avec leur progéniture pour l'allaiter. Pour les deux espèces, la composition des repas maternels influe sur l'orientation de l'animal vers le sein et sur le sevrage via le liquide amniotique et les changements de composition du lait. Mais il existe aussi des similitudes entre les lapins et les humains : les mères lapines rampent vers leurs petits dans le tunnel souterrain du nid ce qui provoque une petite fuite de lait hors de la mamelle et peut attirer les petits, comme cela se passe chez les mères humaines.
« Nature », vol. 424, 3 juillet 2003, pp. 68-72, et éditorial, pp. 25-26.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature