Le Généraliste: Quels sont les faits saillants que fait émerger votre travail?
François-Xavier Schweyer : D’abord que le modèle canonique de la médecine générale est assez éloigné de la réalité. Non seulement les diplômés de médecine générale n’exercent pas tous, loin s'en faut, la médecine générale, mais il y a différentes façons d’être généralistes. Ensuite, c’est un métier difficile qui s’inscrit dans plusieurs systèmes d’action, dont l'expertise dépasse le seul champ médical et qui suppose aussi des coopérations. Enfin, comme le suggèrent plusieurs chapitres du livre, nous sommes aujourd’hui à une période charnière.
Géraldine Bloy: L’ouvrage est collectif, il y a donc un effet kaléidoscope. Mais une ligne principale s’en dégage : la médecine générale est historiquement caractérisée, surtout en France, par un défaut d’institution et de reconnaissance. Cela a produit chez les professionnels un sentiment de blessure originelle, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas réussi à se débrouiller pour construire une identité professionnelle, mais cela s’est beaucoup fait sur une modalité d’autodidacte, dans un ressentiment vis-à-vis des institutions, de l’hôpital et de la médecine spécialisée.
Le Généraliste : Parents pauvres, ils ont dû se construire eux-mêmes…
G .B: C’est une donnée forte, ce sentiment d’être méprisés et de ne pas être reconnus à la hauteur de la complexité de ce qu’ils font, à la fois par le temple de la médecine moderne - le CHU - et par les institutions sanitaires et politiques. Ce qui leur offre corollairement d’importantes marges d’autonomie. Il ne faut pas sous-estimer le rapport d’investissement personnel et passionnel à leur métier parce qu’ils sont largement maîtres à bord pour construire leur exercice ou leur patientèle, pour choisir les types de soins qu’ils vont investir en priorité etc. En contrepoint, l’actuelle volonté politique de réguler collectivement la médecine générale, de mieux préciser sa place au sein du contrat social, suscite à la fois des espoirs et des tensions très fortes. D’autant plus que les conditions de la confiance ne sont pas établies, ni avec les pouvoirs publics ni entre la profession et ses représentants. D’où ce moment de stress particulier autour de la question « comment va-t-on nous contraindre ?», et en même temps une forte attente d’être reconnus et de voir leur rôle revalorisé par l’Etat et par les conventions médicales.
Cette profession est-elle plus hétérogène que d’autres ?
G.B. Oui, ils forment certainement un segment professionnel plus hétérogène que d’autres spécialités médicales. Ce qui ne signifie pas qu’il soit impossible de définir des grilles de lectures analysant l’éventail de leurs positionnements. C’est l’objet du livre.
Les généralistes ont-ils changé depuis les travaux d’Isabelle Baszanger dans les années 70 ?
GB : On est dans une phase de métamorphose. Si le syndicalisme a un peu évolué, c’est surtout l’aspect universitaire de la profession qui a changé et donc la formation et le bagage des nouveaux venus. La médecine générale ne se découvre plus au cours des remplacements, sans filet, même si la formation ne couvre pas toutes les formes de la pratique. Et les médecins sont évidemment pris dans des évolutions de société plus larges.
F-X S.: : Ce qui a aussi changé, outre l’évolution des savoirs et des techniques, c’est que le médecin généraliste s’inscrit désormais dans un système de santé plus complexe. Il y a plus de professionnels de santé, spécialistes et autres professions de santé, les généralistes sont donc amenés à collaborer et à s'interroger sur la division du travail. La demande sociale augmente aussi. L’une des questions qui se pose aujourd’hui est celle de la définition du métier de généraliste de proximité.
Les termes de "vocation" et de "sacerdoce" trouvent-t-ils toujours à s’appliquer ?
GB: Le modèle masculin de référence d’hyperdisponibilité au patient est périmé, mais cela ne veut pas dire que les jeunes ne peuvent pas travailler beaucoup. Simplement, il y a un refus de se laisser enfermer uniquement dans le service à la clientèle, parce qu’ils considèrent que, dans la durée, c’est un modèle assez destructeur, à la fois en termes de qualité des soins et de qualité de vie. Quant au terme de vocation, je le trouve un peu trop romantique pour rendre compte de parcours complexes.
Le modèle libéral vous semble-t-il menacé ?
F-X S.: L'identité libérale reste forte. En revanche, les conditions de travail changent, le cloisonnement hôpital-médecine de ville pourrait aussi changer. La loi HPST permet à tous les hôpitaux de recruter des libéraux, ce que ne pouvaient faire que les hôpitaux locaux.
G. B.: La sortie du tout paiement à l’acte semble en marche, aujourd’hui la part de la rémunération forfaitaire n’est plus anecdotique. Mais pour l’avenir je pense que c’est le développement de la filière universitaire de médecine générale qu’il ne faut pas rater.
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