« La Marche des idées », de François Dosse

Une pensée qui ne manque pas de réflexion

Publié le 27/10/2003
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L'âge classique a connu ses sociétés de savants et d'humanistes, mais on chercherait avec difficulté un critère permettant de cerner les intellectuels avant même que le mot n'existe. Mieux vaut saisir des actes que des définitions, et c'est avec les figures de Voltaire ou de Rousseau luttant contre l'arbitraire du pouvoir qu'on s'accorde à voir se dessiner l'image de l'intellectuel. Voltaire défend Calas, un marchand protestant accusé d'avoir torturé son fils à mort, du fait de sa conversion au catholicisme, et son plaidoyer constitue la scène inaugurale du rôle de l'intellectuel.

Cet engagement protestataire trouve son couronnement au moment de l'affaire Dreyfus, et le mot passe du qualificatif au substantif. On considère que la publication par Zola de son célèbre « J'accuse », dans « l'Aurore » du 13 janvier 1898, marque la naissance de l'« Intellectuel ». Il prend d'emblée une connotation dreyfusarde, mais, dans la bouche des hommes de droite comme Barrès, il se charge d'une ironie méprisante.
Dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, les figures de Camus et de Sartre, la théorie de l'engagement vont évidemment fortifier cette dépendance du concept à l'égard du politique. Il n'en est pas moins nécessaire d'échapper à cette réduction et de trouver une grille de lecture plus subtile, telle la notion de « génération » promue par Jean-François Sirinelli.
Ce que montre ce livre documenté et complexe, c'est l'interaction de toutes les sciences humaines, notamment celle qui règne entre l'histoire des idées et l'histoire en général. L'effondrement du primat révolutionnaire fait basculer l'histoire des idées vers le structuralisme, vision plus horizontale du monde où la complexité des choses l'emporte sur l'idéal sauvage et surplombant.
Sans être réducteur, François Dosse montre qu'il n'y a pas d'histoire des idées qui ne soit un peu rongée par le soupçon nietzschéo-foucaldien : celui des conditions mêmes de leur énonciation.

« La Marche des idées. Histoire des intellectuels-Histoire intellectuelle », Editions La Découverte, 320 pages, 24 euros.

André MASSE-STAMBERGER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7413