L’AN DERNIER, la « patiente » du Dr Philippe Charlier se composait de morceaux de crâne, de mandibules, de cheveux, de poils et autres sourcils, ainsi que de quelques sédiments (« le Quotidien » du 13 avril 2005). Cette fois, la cliente du jeune médecin légiste, passé entre-temps du Chru de Lille à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, est réduit à deux fragments de côtes humaines, dont l’un de 14 cm, revêtus d’une matière organique en fusion qui s’est solidifiée, ainsi que de quelques vertèbres humaines. Y sont mêlés des ossements de chats carbonisés et quelques fragments d’étoffes. Dans le premier cas, l’engouement du grand public procédait du caractère énigmatique, cinq cents ans après les faits, de la mort de la patiente, la pulpeuse et diaphane maîtresse du roi Charles VII, Agnès Sorel. Les travaux ont permis de conclure qu’elle avait été victime d’un « meurtre au mercure », eu égard au taux considérable de vif-argent retrouvé dans les phanères de la favorite.
Cette année, pas d’énigme (on connaît l’affaire dans tout son détail politico-religio-judiciaire), mais une vérification d’authenticité sur l’une des actrices les plus illustres de l’histoire de France en la personne de Jeanne d’Arc. Les fragments contenus dans un bocal étiqueté « Restes de Jeanne d’Arc trouvés sous le bûcher de Rouen » sont-ils bien ceux de la Pucelle d’Orléans ? Ou s’agit-il d’un montage, un canular de carabins du XVIIe siècle, comme le Dr Charlier ne l’exclut pas.
Lui-même a découvert le bocal et son contenant par le plus parfait hasard. Il voisinait, en effet, avec les restes d’Agnès Sorel sur les rayonnages de l’association des Amis du Vieux Chinon. Etiqueté comme il l’était, il ne pouvait manquer d’attirer l’attention médico-historique de notre héros.
Son histoire avérée ne remonte pas en deça de la fin du XIXe siècle, époque à laquelle le bocal fut trouvé dans le grenier d’un apothicaire parisien, rapporte le directeur du musée d’Art et d’Histoire de Chinon, Fabrice Masson, lequel apothicaire confia alors l’objet à l’historien Ernest-Henri Tourlet, qui mit lui-même le bocal à disposition de l’Eglise. Au début du XXe, un comité scientifique de l’époque, dans le cadre du procès en béatification de Jeanne d’Arc, conclut à l’ «authenticité probable, mais non certaine».
Bien que propriétaire, l’autorité ecclésiastique du siège, en l’occurrence l’archevêché de Tours, jugea le bocal plus à sa place dans un entrepôt muséologique que sur les autels. Sa circonspection se comprend d’autant mieux que la chronique rapporte depuis plus d’un demi-millénaire que les restes de la jeune femme née en 1412, qui avait rassemblé des troupes pour combattre les occupants et libérer Orléans, avant d’être capturée et condamnée au bûcher, en 1431, place du Vieux-Marché, à Rouen, après trois crémations successives, avaient été jetés à la Seine. Des analyses furent effectuées à deux reprises, en 1909, puis en 1960. Mais le dosage au carbone 14 conclut à une datation des ossements à l’âge de bronze. «Probablement en raison d’une erreur de manipulation, une confusion avec des ossements égyptiens, estime le Dr Charlier, qui a programmé son travail sur une durée de six mois. Nous attaquons ce mois-ci, détaille-t-il, avec une nouveau dosage au carbone14, qui sera sans doute réalisé dans un laboratoire grenoblois. Nous tenterons ensuite d’extraire l’ADN, ce qui devrait nous permettre de vérifier l’âge et le sexe. Avec l’examen des pollens, nous pourrons situer la région et la saison de la mort.»
Historiquement, nulle révélation n’est à attendre. Les deux éminents médiévistes que sont Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmidt sont formels : «Pour nous, le fait que Jeanne d’Arc ait été brûlée par les Anglais à Rouen ne fait aucun doute; mais que ces fragments de peau et d’os lui appartiennent ou non, cela ne représente aucun intérêt pour l’historien. Cela n’enlève rien à l’intérêt technique de l’investigation. Et cela peut, par ailleurs, intéresser l’Eglise, qui pense conserver des reliques, mais qui n’en a pas l’assurance.»
18 spécialistes.
«Notre objectif, confirme le Dr Charlier, est bien de s’assurer de l’authenticité des restes. L’indice le plus pertinent pourrait être la vérification de la triple crémation à laquelle aurait été soumis le corps de Jeanne d’Arc et qui devrait être visible sur les ossements. Il n’y a pas eu 1000femmes brûlées à Rouen en 1431 et notamment à trois reprises.»
Les recherches vont occuper 18 spécialistes de bactériologie, de mycologie, de parasitologie, parmi lesquels deux médecins généticiens, dont le Dr Charlier ne souhaite pas communiquer les identités. Au final, il espère que «les tests effectués sur ces restes humains anciens pourront être appliqués a posteriori sur des restes beaucoup plus récents».
«Toutes ces études aident à avancer un petit peu dans le diagnostic, confirme le Pr Michel Durigon, chef du service de médecine légale de l’hôpital Raymond-Poincaré. Si l’on peut faire des empreintes génétiques même sur du matériel calciné, cela permettra peut-être d’utiliser la même technique dans le futur, alors qu’aujourd’hui cela reste difficile.»
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