LES DIRIGEANTS européens ont raison de se mobiliser. Si M. Zapatero joue sur du velours (il est bien peu probable que les Espagnols rejettent la constitution de l'Union), il n'en va pas de même dans d'autres pays, comme la France, où le scepticisme populaire gagne du terrain. L'élargissement à 25, les délocalisations - que la commissaire à la politique régionale, Danuta Huebner, veut « faciliter » -, la directive Bolkestein (1), les revendications sociales affichées par Laurent Fabius mais entendues par l'opinion française, le « non » de la CGT, qui n'a pas hésité à désavouer son secrétaire général Bernard Thibault, le retour officiel des 39 heures en Allemagne, tous ces éléments militent en faveur du « non ».
M. Chirac est inquiet à la fois de ne pas avoir convaincu une minorité de l'UMP, qui rejette le traité constitutionnel, et de ne pas pouvoir compter avec certitude sur le « oui » de la gauche : le PC est contre, le PS est divisé en dépit du référendum interne des socialistes qui a permis à François Hollande de triompher, l'extrême gauche est totalement hostile. Si on ajoute à ces forces disparates les chevènementistes, les villiéristes, et bien entendu le Front national, ça fait beaucoup de monde.
Il semble bien aujourd'hui que le recours au référendum était une mauvaise idée pour tous ceux qui souhaitent l'adoption rapide de la Constitution européenne. Le gouvernement Raffarin n'aurait eu aucun mal à trouver une forte majorité à l'Assemblée en faveur du traité, ce qui indique d'ailleurs la distance qui sépare les élus de leurs mandants. L'Europe n'a jamais été vraiment populaire, elle est constamment soutenue à bout de bras par des dirigeants « éclairés ».
L'annonce du référendum a permis à M. Chirac de mettre le PS en difficulté, mais il a remporté en l'occurrence une victoire à la Pyrrhus. Certes les militants socialistes ont choisi, mais ceux qui ont voté « non », Fabius, Emmanuelli, Mélanchon et d'autres, ne se sentent nullement soumis à la discipline de parti.
Ils l'ont fait savoir : François Hollande peut bien les menacer, ils voteront en fonction de leurs convictions.
Or, de la gauche à l'extrême droite, tous les politiques hostiles à la Constitution européenne font vibrer une corde. Beaucoup de militants politiques (de tous bords) veulent régler leurs comptes avec le gouvernement : dire « non », c'est moins, à leurs yeux, porter atteinte à la construction européenne que combattre et saper l'autorité de la droite au pouvoir.
L'embarras de Hollande.
François Hollande a averti ses amis qu'ils ne doivent pas confondre les genres et qu'il ne faut pas rejeter l'Europe pour faire une mauvaise manière à Chirac. Le Premier secrétaire du PS se trouve dans une situation peu enviable : après le triomphe qu'il a remporté au référendum, il est accusé de faire le jeu du pouvoir au moment où il est censé incarner une opposition puissante, renforcée par ses victoires aux élections de l'an dernier.
La perte de crédibilité de la classe politique conduit les mécontents, qui sont légion, à porter le regard vers toutes les formes de contestation où qu'elles s'expriment, que ce soit à droite ou à gauche. Un peu comme s'il était temps de tout changer, de faire une révolution, de remplacer le personnel politique et les partis eux-mêmes par d'autres partis et par d'autres personnes.
Le choix de la colère.
Pour le moment, le « oui », selon les sondages, réunit plus de 60 % des voix. Mais le traité constitutionnel est victime d'une formidable campagne de diffamation livrée par un camp étrange où se retrouvent, mariés comme carpe et lapin, les droites et les gauches les plus extrêmes, avec des éléments beaucoup plus modérés mais, semble-t-il, assez en colère pour faire le choix du cœur plutôt que celui de la raison.
Comme on le voit, le référendum sur le traité européen représente désormais un danger pour le pouvoir, mais un danger pour l'opposition aussi qui, si elle se divise, risque, à deux ans de la présidentielle et des législatives, de ne plus apparaître comme une force d'alternance convaincante.
(1) La directive Bolkestein est un texte européen qui, s'il était appliqué, libéraliserait les services en Europe et permettrait à un salarié émigré de continuer à bénéficier des lois sociales de son pays d'origine.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature