DE NOTRE CORRESPONDANTE
EN RAISON de la redondance du code génétique, un acide aminé peut être codé par plusieurs codons, ou triplets de nucléotides (A, C, U ou G). En effet, aux 64 combinaisons ou codons possibles ne correspondent que 20 acides aminés. Parfois, la cellule peut utiliser jusqu'à 6 codons fonctionnellement équivalents, ou synonymes, pour coder le même acide aminé.
Toutefois, on sait depuis longtemps que, en réalité, certaines paires de codons synonymes sont utilisées plus souvent que d'autres par la cellule. Ce phénomène est appelé « biais de codon ». Par exemple, chez l'homme, le codon GCC est utilisé quatre fois plus souvent que le codon GCG pour coder l'alanine (Ala).
De la même façon, mais indépendamment, certaines paires de codons adjacents synonymes sont utilisées plus ou moins souvent que prévu. Certaines paires sont sous-représentées, tandis que d'autres sont surreprésentées. Ainsi, pour coder la paire d'acides aminés Ala-Glu, la paire de codons GCCGAA est observée sept fois moins souvent que la paire GCAGAG.
Ce « biais de paires de codons » est observé dans toutes les espèces, mais sa signification fonctionnelle restait un mystère.
La synthèse de deux nouveaux poliovirus.
«Nous nous sommes donc posé la question de savoir ce qui se passe si nous recodons le génome du virus de telle manière que ses protéines doivent dépendre de l'utilisation de paires de codons sous-représentées ou bien surreprésentées», explique au « Quotidien » le Dr Stephen Mueller, de l'université de Stony Brook (New York), qui a dirigé ce travail.
En 2002, l'équipe de Stephen Mueller réussissait à synthétiser denovo la séquence ADN du poliovirus (J. Cello et coll, « Science »).
En 2006, l'équipe de Mueller et un autre groupe du CDC synthétisaient des poliovirus forcés à utiliser de rares codons pour encoder les mêmes séquences d'acides aminés que les poliovirus sauvages. Ils montraient que ces poliovirus étaient atténués.
«Pour répondre à cette question, nous avons développé un algorithme informatique capable de recoder une séquence d'acides aminés, mais en utilisant des paires de codons différentes.»
Coleman, Mueller et coll. ont ainsi synthétisé deux nouveaux poliovirus, en utilisant des centaines de paires de codons synonymes surreprésentées (PV-Max) ou sous-représentées (PV-Min) pour encoder la capside virale.
«Nous avons découvert que le virus résultant du génome utilisant les paires de codons surreprésentées (PV-Max) n'est pas affecté et se comporte de la même façon que son ancêtre sauvage, en dépit des centaines de mutations synonymes», précise le Dr Mueller.
«À l'opposé, les virus utilisant les paires de codons sous-représentées (PV-Min) ont beaucoup de difficultés à se propager. Cela est observé autant dans des cultures cellulaires, où le virus ne parvient pas à détruire les cellules et à former des plaques, que chez la souris, où le virus est 1000fois moins virulent. Cela est corrélé à une baisse du taux de synthèse protéique par ces virus (mauvaise traduction). »
Dengue, grippe aviaire, sras, VIH...
Puisque ces poliovirus synthétiques atténués encodent les mêmes protéines que le poliovirus sauvage, pourraient-ils déclencher une réponse immune protectrice ? Cette question a été examinée. Effectivement, une vaccination des souris avec ces poliovirus atténués (injectés par voie intrapéritonéale une fois par semaine, à trois reprises) les protège contre une dose normalement létale de poliovirus sauvage.
Les chercheurs montrent également que le virus atténué ne peut pas revenir à un état non atténué, vraisemblablement du fait des centaines de mutations. En revanche, les méthodes actuelles d'atténuation reposent généralement sur un petit nombre de mutations et le virus atténué peut parfois revenir à un état sauvage.
Cette approche (dite Synthetic Attenuated Virus Engineering ou SAVE) pourrait permettre de créer de nouveaux vaccins candidats contre de nombreux virus, estiment les chercheurs.
«On a grand besoin de vaccins contre de vieux ennemis, comme le virus de la dengue ou le VIH, et contre de nouvelles menaces émergentes comme la grippe aviaire ou le sras, ou peut-être même contre de potentiels agents de bioterrorisme», note le Dr Mueller.
«Notre méthode est très rapide à réaliser. Avec un peu plus de pratique et une compréhension plus profonde des mécanismes, on pourrait dans un proche avenir développer un vaccin candidat contre un nouveau virus émergent en l'espace de quelques semaines. Je dis bien “un vaccin candidat”, car, bien sûr pour qu'il devienne réellement un vaccin, il faut attendre de longs essais cliniques.»
Cette approche n'est pas dangereuse et ne peut pas être utilisée pour rendre un virus plus virulent, souligne le Dr Mueller. «Nous réduisons seulement l'efficacité avec laquelle le virus peut produire ses protéines.»
Coleman et coll. « Science », 27 juin 2008.
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