De notre correspondante
à New York
« Ce travail suggère que les cliniciens devraient explorer la transplantation intraosseuse pour certaines thérapies du cancer », déclare au « Quotidien » le Pr John Dick qui a dirigé ce travail de recherche à l'université de Toronto au Canada.
« En effet, dans les transplantations actuelles, les patients sont à risque élevé d'infections dans les deux premières semaines car les cellules souches transplantées n'ont pas encore produit suffisamment de cellules pour protéger le patient. Si les cellules souches que nous avons découvertes fonctionnent chez les hommes de la même façon que chez les souris, elles pourraient être bénéfiques. »
« En clinique, à la suite d'un traitement aplasiant, il est nécessaire d'obtenir une greffe rapide chez les patients. Cette technique répond donc à ce critère en générant rapidement un grand nombre de cellules matures », souligne auprès du « Quotidien » le Dr Frédéric Mazurier, premier signataire de l'article publié dans « Nature Medicine ». Ce chercheur français, intégré pour un temps dans l'équipe de John Dick, est maintenant de retour à l'INSERM à l'université de Bordeaux (transfert de gènes à visée thérapeutique dans les cellules souches). « L'injection intrafémorale, ajoute-t-il, est plus efficace, en particulier pour le sang du cordon, riche en cellules souches mais dont le volume est rarement suffisant pour reconstituer l'hématopoïèse d'un adulte. On pourra donc améliorer la greffe à partir de ces cellules. Malgré la difficulté de réalisation de cette technique (injection intrafémorale) chez l'homme, pourtant pratiquée lorsque les veines sont inaccessibles (en pédiatrie, chez les grands brûlés...), il semble important de la considérer sérieusement », déclare-t-il.
La recherche sur les cellules souches humaines, largement empirique au début, a été transformée il y a quelques années lorsque le laboratoire de John Dick a mis au point un système in vivo permettant de transplanter les cellules souches hématopoïétiques humaines chez des souris immunodéficientes NOD/SCID (« Science », 1992, « Nature Medicine », 1996). Les cellules souches humaines ne sont pas rejetées par ces souris et produisent des cellules sanguines humaines.
Un pool très hétérogène
En utilisant ce système, les chercheurs ont découvert que le pool des cellules souches humaines est considérablement hétérogène en ce qui concerne le potentiel de repopulation des cellules souches (« Nature Immunology », 2001). On a donc pu identifier des cellules souches humaines capables de repopulation à long terme, ce qui est souhaitable pour les thérapies géniques. Mais peu de progrès ont été faits pour identifier des cellules souches qui soient capables d'entraîner une repopulation rapide, ce qui est souhaité pour les greffes de cellules souches après traitement myélo-ablatif d'un cancer.
Toutefois, jusqu'à présent, toutes les études de repopulation par les cellules souches humaines ont été basées sur l'injection intraveineuse. Cette voie d'introduction des cellules dans l'organisme demande aux cellules de circuler dans le sang, puis de migrer dans leur site de résidence, la moelle osseuse. Cela requiert des mécanismes qui peuvent être absents de certaines cellules, et par conséquent, certaines classes de cellules souches hématopoïétiques ont pu ne pas être détectées.
Dans cette nouvelle étude, Mazurier, Dick et coll. ont donc développé un nouveau système dans lequel les cellules souches hématopoïétiques humaines sont injectées directement dans la moelle osseuse fémorale des souris. Cela leur a permis de détecter une nouvelle classe de cellules souches capables de produire rapidement des cellules myéloïdes et érythroïdes humaines dans le sang et la moelle osseuse (du fémur injecté et des os non injectés) des souris, dès deux semaines après la transplantation, alors que l'injection intraveineuse ne produit un greffon similaire qu'au-delà de trois semaines.
« Cette population isolée est distincte phénotypiquement des autres cellules souches caractérisées précédemment, qui ne peuvent être détectées que plus tardivement (à dose équivalente) », explique le Dr Mazurier. Toutefois, notent les chercheurs, cette nouvelle classe est encore fonctionnellement hétérogène, avec des cellules aux capacités différentes de prolifération, migration et repopulation.
Ainsi, la repopulation largement myélo-érythroïde à deux semaines évolue vers une repopulation myélo-lymphoïde à six semaines après la transplantation.
Une avancée majeure
« Cette découverte représente une avancée majeure pour la recherche sur les cellules souches humaines, avec des implications cliniques importantes pour le développement de traitements plus efficaces pour le cancer (expansion de cellules souches afin de greffer un plus grand nombre de ces cellules, découverte de cytokines supplémentaires) », déclarent les chercheurs dans un communiqué. « Le système intrafémoral, ajoutent-ils, donne une base pour voir si la transplantation intraosseuse peut avoir une efficacité clinique pour transplanter des populations spécifiques de cellules souches (par exemple, des cellules se greffant rapidement), ou lorsque le nombre des cellules souches est réduit comme pour les greffes du sang du cordon chez les adultes. »
« Un de mes objectifs, depuis mon retour en France, est de tester cette technique non plus sur du sang de cordon mais sur des cellules de sang périphérique après mobilisation », confie au « Quotidien » le Dr Mazurier. « Maintenant, celles-ci remplacent couramment les cellules de moelle osseuse, car elles sont plus accessibles même si l'on sait que leur greffe peut être moins efficace à long terme (après injection I.V.). »
« Nature Medicine », 9 juin 2003, DOI: 10.1038/nm886
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