«LES DEUX RESULTATS les plus importants de notre étude sont les suivants», explique au « Quotidien » le Dr Bruce Sullenger, directeur du centre Duke pour la recherche translationnelle (Durham, Caroline du Nord). Premièrement, «nous montrons que les siARN peuvent être ciblés vers des types cellulaires spécifiques en les associant à des ligands ARN (l’aptamère) qui reconnaissent un récepteur de surface cellulaireparticulier. Deuxièmement,ces ARN chimériques peuvent être utilisés pour cibler spécifiquement les cellules du cancer de la prostate et les détruire».
Un essai clinique dans trois à quatre ans.
«Il faudra probablement attendre trois à quatre ans avant de voir un essai clinique utilisant cette approche car il nous faut d’abord optimiser le système dans des modèles animaux et démontrer que l’approche peut être utile pour traiter le cancer métastasé avancé, indique-t-il. Notre prochain objectif est de travailler à la formulation des ARNchimériques, de façon qu’ils soient faciles à produire et efficaces en administration systémique chez les animaux atteints de cancer métastasé. »
«L’aspect le plus intéressant de cette étude est qu’en ajoutant un ligand ARN (l’aptamère) à un siARN, nous fournissons un système de guidage pour la thérapie, ce qui devrait réduire les effets secondaires ainsi que les coûts, puisqu’on aura besoin d’une moindre quantité de traitement», souligne-t-il.
«En outre, nous pensons que cette approche pourrait être généralisée et utile pour le traitement d’une variété de maladies. Il suffit pour cela:1)d’identifier un récepteur spécifique sur les cellules qui sont associées à la maladie en question, de façon que l’on puisse générer un ligand qui cible ce récepteur; 2)et d’identifier un gène cible associé à la maladie, gène dont l’inhibition par les siARN dans les cellules ciblées entraînera une réduction de la pathologie.»
L’interférence par l’ARN, décrite pour la première fois en 1998 chez C.elegans, est un mécanisme cellulaire par lequel des ARN double brin (de 21 à 23 nucléotides) déclenchent la dégradation d’ARNm simple brin possédant les mêmes séquences. Les molécules d’ARN double brin sont d’abord découpées par une RNase (Dicer) pour produire les petits ARN interférents (Short Interfering RNA, siRNA). Ceux-ci sont ensuite incorporés sous forme de simple brin dans un complexe ribonucléoprotéique où ils servent de guide pour la reconnaissance de la cible.
Le potentiel thérapeutique des ARN interférents est devenu évident lorsque, en 2001, on a montré que l’administration exogène des siARN pouvait réduire au silence l’expression d’un gène cible dans des cellules de mammifère, à travers le mécanisme d’interférence ARN.
Cependant, les approches utilisées jusqu’ici pour délivrer les siARN thérapeutiques ( via des anticorps, par exemple) se sont montrées faiblement efficaces, peu spécifiques, et associées à des réponses immunes indésirables.
McNamara, Sullenger et coll. décrivent une nouvelle approche. Elle consiste à associer, dans une molécule chimérique, le siARN à un aptamère ARN qui ira se fixer à un récepteur de surface spécifique des cellules « d’intérêt ». Cette approche présente plusieurs avantages, notamment une faible immunogénicité et la délivrance de la thérapie siARN dans un type cellulaire spécifique.
La « preuve du concept » est apportée dans un modèle animal de cancer de la prostate.
Les chercheurs ont créé un ARN chimérique dont l’aptamère cible le récepteur de surface PSMA qui est spécifiquement exprimé sur les cellules du cancer de la prostate et l’endothélium vasculaire des tumeurs solides, tandis que la portion siARN cible l’expression de deux gènes de survie surexprimés dans la plupart des tumeurs humaines (PLK1 et BCL2).
Cancer de la prostate.
Lorsque cet ARN chimérique est incubé in vitro en présence de cellules exprimant le récepteur PSMA, cet ARN est internalisé dans la cellule, puis reconnu par la RNase Dicer et dirigé vers la voie des ARNi ; cela entraîne une réduction des protéines Plk1 et Bcl2 et la mort par apoptose des cellules. En revanche, l’ARN chimérique ne se fixe pas et ne fonctionne pas dans les cellules n’exprimant pas le récepteur PSMA.
Le traitement a été testé chez des souris nues porteuses de tumeurs humaines après avoir reçu l’injection sous-cutanée de cellules cancéreuses humaines de la prostate.
L’injection intratumorale de l’ARN chimérique (tous les deux jours, pendant vingt jours) a inhibé la croissance tumorale et fait régresser les tumeurs (de moitié) uniquement chez les souris porteuses de tumeurs prostatiques exprimant le PSMA, sans entraîner de morbidité ni de mortalité.
« Nature Biotechnology », 25 juin 2006, DOI : 10.1038/nbt1223.
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