L'arriération intellectuelle affecte dans sa forme sévère (QI < 50) de 0,3 à 0,8 % de la population ; sa fréquence atteint jusqu'à 2 % de la population lorsqu'on inclut la forme légère (50 < QI < 70). Elle peut être causée par des facteurs environnementaux ou tératogènes, des anomalies chromosomiques et des maladies métaboliques qui perturbent la fonction neuronale ou l'organisation cérébrale durant le développement ; elle est alors associée à d'autres symptômes.
Mais lorsque l'arriération intellectuelle est non syndromique, c'est-à-dire associée à un développement cérébral en apparence normal et sans autres signes cliniques, ses causes génétiques demeurent largement ignorées.
Les analyses de liaison génétique sont rendues difficiles par le faible nombre de grandes familles affectées et l'hétérogénéité génétique de l'arriération intellectuelle non syndromique.
Une famille de huit enfants, dont quatre arriérés mentaux
Jusqu'ici, seuls des gènes causals situés sur le chromosome X ont été identifiés (dix gènes) ; mais on n'en a jamais encore trouvé sur des chromosomes non sexuels.
Une équipe franco-suisse, dirigée par le Dr Laurence Colleaux (INSERM U393, hôpital Necker - Enfants-Malades, Paris), a fait un nouveau pas. Elle s'est intéressée à une famille algérienne comprenant 4 enfants arriérés mentaux et 4 enfants sains, tous nés d'un père et d'une mère cousins germains. Les 4 enfants arriérés (QI < 50) avaient présenté un développement psychomoteur normal jusqu'à l'âge de 2 ans, puis développé l'arriération mentale. Puisqu'il y avait trois filles et un garçon affectés, et des parents consanguins, il s'agissait probablement d'un trouble autosomique récessif.
L'équipe a examiné tout le génome et a identifié une seule région d'homozygotie chromosomique (chr 4q24-25) partagée par la fratrie affectée. Parmi plusieurs gènes dans cette région, les chercheurs se sont intéressés au gène de la neurotrypsine (PRSS12), car son homologue chez la souris a été mis en cause dans la maturation synaptique et dans la plasticité nerveuse.
Les chercheurs ont identifié la séquence du gène humain, puis recherché des mutations chez les enfants affectés. Bien leur en a pris, ils ont effectivement découvert une délétion de quatre paires de bases dans le gène de la neurotrypsine, présente sous forme homozygote chez les 4 surs et frère affectés et sous forme hétérozygote chez les parents.
Dans un second temps, ils ont examiné ce gène dans dix-sept autres familles consanguines avec arriération mentale non syndromique et vingt-trois enfants arriérés mentaux. Ils ont découvert la même délétion chez un autre enfant arriéré d'une famille algérienne, non liée à la précédente, mais de la même région géographique.
Le gène de la neurotrypsine pendant le développement cérébral
Afin de mieux connaître la fonction de ce gène chez l'homme, l'équipe a examiné des coupes de cerveau foetal et des coupes de cerveau adulte. Le gène de la neurotrypsine, ont-ils constaté, est exprimé durant le développement cérébral, principalement dans le cortex et le noyau moteur du tronc cérébral, des structures cérébrales liées à l'apprentissage et à la mémoire. Dans le cerveau adulte, la neurotrypsine est située dans les terminaisons présynaptiques des neurones du cortex. Puisque la neurotrypsine est une protéase qui modifie d'autres protéines, il apparaît donc que la protéolyse médiée par la neurotrypsine est indispensable pour le bon fonctionnement de la synapse.
Il semble, d'après plusieurs données, qu'un équilibre entre les enzymes protéolytiques et leurs inhibiteurs est essentiel pour la régulation de la plasticité neuronale. La neurotrypsine, proposent les chercheurs, pourrait ainsi être un régulateur du développement et/ou de la fonction de la synapse. « Ces résultats soulignent le rôle crucial de la protéolyse synaptique dans la fonction cérébrale supérieure et ouvrent une nouvelle voie dans la physiopathologie de l'arriération mentale », concluent les chercheurs.
« Science » du 29 novembre 2002, p. 1779.
Florence Molinari et coll. Les chercheurs français qui ont participé à ce travail sont : de l'unité INSERM U393 (hôpital Necker - Enfants-Malades), du centre national de génotypage (Evry) et du service de génétique, CHU de Tours, hôpital Bretonneau (Tours).
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