PAR LE Dr JEAN-LUC NGUYEN-KHOA*
POUR RENÉ DESCARTES, la forme optique idéale pour donner la meilleure qualité d'image était plutôt un ovale. Au XVIIe siècle, le philosophe mathématicien proposait dans son ouvrage « la Dioptrique » une manière de tailler les verres de lunettes suivant cette forme optique idéale, afin que tous les rayons lumineux traversant l'optique de son centre vers la périphérie convergent au même foyer. Ainsi prit naissance la notion d'asphéricité en optique.
Géométrie.
L'asphéricité est une propriété géométrique décrivant la courbure d'une surface. La surface d'une optique est dite asphérique si elle ne suit pas la forme d'une sphère. A la différence de la sphère, la valeur du rayon de courbure varie en chaque point d'une surface asphérique. Cette notion d'asphéricité permet de caractériser tout type d'optique, comme les verres de lunettes, les lentilles de contact, les optiques des appareils photo, les miroirs de télescope, ainsi que les surfaces réfringentes de l'oeil humain, comme la cornée ou le cristallin. Ces surfaces sont mieux décrites en faisant appel aux coniques non sphériques : hyperbole, parabole et autre ellipse. Toutes ces surfaces asphériques ont une courbure variable décrite par deux paramètres : le rayon de courbure au sommet et le facteur d'asphéricité Q, caractérisant la variation du rayon de courbure à partir de ce sommet. Ce facteur d'asphéricité Q permet de décrire les propriétés optiques de la surface considérée lorsque l'on s'éloigne de l'axe optique. Il est négatif lorsque le rayon de courbure augmente vers le bord par rapport au rayon de courbure au sommet et positif, dans le cas inverse. Il prend une valeur nulle quand le profil de la surface étudiée suit celui d'une sphère.
Notons d'emblée que l'asphéricité d'une dioptre optique n'est pas suffisante pour prédire la totalité de ses propriétés optiques pour lesquelles il faut aussi disposer, entre autres, de son indice de réfraction et de l'angle d'incidence des rayons réfractés. Ainsi, une lentille sphérique de courbure constante a un pouvoir optique plus important en périphérie qu'au centre. Les rayons optiques périphériques convergent alors en avant du point de convergence des rayons centraux. On dit alors que cette lentille possède une aberration sphérique positive qui pénalise la qualité de vision à grand diamètre pupillaire. Une lentille asphérique qui a une courbure variable peut être réalisée pour avoir un pouvoir optique constant du centre vers la périphérie, ce qui confère à cette lentille une absence d'aberration sphérique favorable à la qualité de vision. L'avantage de l'asphéricité d'une lentille en termes de qualité d'image s'affirme surtout lorsqu'elle est utilisée avec un diaphragme très ouvert ou un grand diamètre pupillaire.
Des lentilles asphériques.
Les instruments optiques usuels, comme les optiques des appareils photo, ont intégré depuis longtemps des lentilles asphériques qui permettent de réduire leur encombrement et leur poids tout en améliorant leur qualité optique. En optique clinique humaine, la notion d'asphéricité a repris ces derniers temps toute son importance lorsqu'il est apparu que les systèmes optiques disponibles pour la correction de la vision avaient négligé de prendre en compte cette notion cruciale. A contrario, les dernières nouveautés concernant la correction de la vision ont intégré des optiques asphériques dans l'objectif d'améliorer la qualité de vision : lunettes correctrices, lentilles de contact, laser pour la chirurgie réfractive, implants intraoculaires corrigeant l'aphakie, etc. L'amélioration attendue ne concerne pas la vision de jour en pleine lumière avec une petite pupille. Il ne s'agit pas de donner une « supervision » supérieure à 10/10e. L'objectif avec l'utilisation des optiques asphériques en ophtalmologie est d'améliorer la vision en faible lumière et la vision nocturne qui pouvaient être dégradées avec les optiques sphériques. D'ores et déjà, des lentilles de contact asphériques sont proposées par de nombreux laboratoires qui mettent l'accent sur le maintien de la qualité de vision, quelle que soit l'ambiance lumineuse.
La chirurgie réfractive.
Les techniques de chirurgie réfractive ont connu un essor considérable ces dernières années, corrigeant efficacement une grande partie des amétropies, comme la myopie, l'astigmatisme ou l'hypermétropie. Le laser excimer a pris une place prépondérante dans cette chirurgie, quels que soient ses avatars (PRK ou Lasik). La très grande satisfaction des patients opérés par laser excimer est confirmée dans toutes les études. La majorité des lasers excimer actuels utilisent des profils d'ablation cornéenne de géométrie sphérique qui modifie l'asphéricité négative naturelle de la cornée. Cette modification, non physiologique, de la surface cornéenne dans la correction de la myopie par laser excimer a été souvent incriminée pour expliquer l'insatisfaction de certains patients, puisqu'elle génère des niveaux parfois élevés d'aberration sphérique positive qui peut dégrader la qualité de vision nocturne. Les nouveaux profils d'ablation asphérique proposés par plusieurs firmes de laser ont pour objectif de générer le moins possible d'aberration sphérique et de respecter au mieux l'asphéricité naturelle de la cornée. Ils s'intègrent dans un objectif qualitatif de meilleure qualité de vision postopératoire ou à l'absence de dégradation de la qualité de vision. Les premiers résultats disponibles des profils d'ablation asphériques sont très encourageants, au moins pour les myopies faibles et moyennes. On observe une moindre induction d'aberration sphérique, ainsi qu'une modification moins importante de l'asphéricité. Seul l'avenir nous dira si ces nouveaux profils supplanteront définitivement leurs prédécesseurs.
Les implants intraoculaires.
Utilisés pour la correction de l'aphakie, les implants intraoculaires suivent également la même direction. Pendant de nombreuses années, et malgré leur nombre, la très grande majorité des implants avaient une optique sphérique. Si la chirurgie moderne de la cataracte a pu rendre service à un grand nombre de personnes en restituant une bonne vue, les patients n'ont pas toujours recouvré la qualité de vision de leurs 20 ans. En effet, les implants sphériques conventionnels ont une aberration sphérique positive qui s'ajoute, dans l'oeil, à celle de la cornée. Cette augmentation de l'aberration sphérique est objectivée avec un aberromètre qui mesure l'ensemble des aberrations de l'œil. Elle a été incriminée dans la dégradation de la vision des contrastes. Les nouveaux implants asphériques n'ajoutent pas d'aberration sphérique à l'œil, et on observe une réduction significative de l'aberration sphérique des yeux implantés comparés à ceux des opérés équipés d'un implant conventionnel sphérique, surtout avec une ouverture pupillaire supérieure à 4 mm. Cet avantage se traduit par une meilleure sensibilité aux contrastes en faible lumière dans les fréquences spatiales moyennes des yeux qui ont les implants asphériques. Cliniquement, une étude américaine sur la conduite automobile nocturne a conclu que l'avantage visuel procuré par l'implant asphérique permettait une reconnaissance plus précoce, sur la route et de nuit, des piétons et des obstacles, améliorant ainsi la sécurité du conducteur et de son environnement.
Ainsi, dans l'avenir, on ne pourra plus parler d'optique clinique sans évoquer l'asphéricité dans la qualité de vision de nos patients. D'autres améliorations sont attendues prochainement dans le domaine de l'imagerie rétinienne, avec l'utilisation dynamique d'optique asphérique.
* Clinique de la vision (Paris) et hôpital Foch (Suresnes).
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