« GLISSEMENTS. » C'est l'euphémisme trouvé par Bertrand Fragonard pour qualifier les transferts de dépenses des régimes obligatoires d'assurance-maladie vers les complémentaires santé. « On accepte des glissements, mais il n'y a pas de volonté politique caractérisée de déporter des dépenses sur les régimes complémentaires », a affirmé le président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, qui était l'un des intervenants d'une table ronde sur le rôle des complémentaires santé aux Entretiens de l'assurance organisés au palais des Congrès de Paris.
Les éminents représentants des complémentaires santé invités à cette table ronde par la Fédération française des sociétés d'assurance (Ffsa) ont néanmoins souligné que les symptômes de « glissements » tendaient à se multiplier, notamment à travers le projet conventionnel qui devait être finalisé hier par l'assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux. Ils ont notamment manifesté leur inquiétude face à la progression des dépassements d'honoraires chez les médecins spécialistes de secteur I, alors que ces derniers pourraient être désormais autorisés à facturer leur consultation 31,73 euros en accès direct et hors parcours de soins.
« En 2003, les dépassements d'honoraires des médecins nous ont coûté 15 % de plus », a relevé Michel Charton, directeur technique santé individuelle chez Axa France. Liées par leurs « contrats sur garantie viagère » (modifiables uniquement par avenant contresigné par leurs clients), les compagnies d'assurance ont été, selon lui, « bien souvent obligées de prendre en charge » ces dépassements. Gilles Johanet, directeur général du pôle AGF santé-collectives, évalue pour sa compagnie d'assurance à « 360 millions d'euros » les « deux points de sinistralité » supplémentaires engendrés par les dépassements tarifaires « de septembre 2003 à septembre 2004 ».
L'ex-directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) fait remarquer que la consultation spécialisée reviendra aux complémentaires « 39 % » plus cher si elle est coordonnée, et « 80 % » plus cher si elle a lieu hors parcours de soins et en cas de prise en charge de la totalité du dépassement. « La pénalisation du patient hors parcours de soins se transformera en politique de déremboursement », a résumé Etienne Caniard, délégué aux questions de santé et de Sécurité sociale à la Mutualité française.
Par ailleurs, le dispositif du médecin traitant, clé de voûte de la réorganisation des soins prévue par la loi du 13 août 2004, ne fait pas l'unanimité chez les assureurs complémentaires. « On vit une époque formidable : on est en train de faire le gate-keeper national socialisé », a ironisé Michel Charton. Or, a-t-il ajouté, d'autres pays qui avaient instauré un système similaire dans les années 1970 ont dû y renoncer depuis car les patients « ont redemandé la liberté (d'accès aux soins) ».
Une « redoutable erreur ».
Etienne Caniard a pour sa part qualifié de « redoutable erreur » le choix des partenaires conventionnels de rémunérer le médecin traitant par un forfait annuel de 40 euros par patient pris en charge au titre d'une affection de longue durée (ALD). Etienne Caniard craint que ce mode de rémunération, peu incitatif, entraîne « une tentation de glissement progressif vers la prise en charge à 100 % » des patients.
Gilles Johanet, qui avait instauré l'option référent avec le syndicat MG-France lors de son dernier passage à la direction de la Cnam, a regretté l'abandon progressif sur deux ans de cette « innovation », estimant que « c'est une fantastique occasion d'évaluation que l'on a perdue ».
Sans s'opposer au principe du parcours de soins, les assureurs privés, tels François Peythieu, directeur de Groupama santé individuelle, ont exprimé le souhait d'une « visibilité sur (leurs) coûts actuels et leur évolution dans le temps ». Du côté de la Mutualité, Etienne Caniard a regretté de même l'absence de « perspectives sur dix ans » et la « complexité du système » qui ne permet pas pour l'instant « la sécurisation des tarifs » dans le parcours de soins coordonnés.
Autant d'arguments qui devraient pimenter les négociations à venir entre les professionnels et les complémentaires, notamment à travers leur union nationale (Unocam).
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