Didier Schuller ne se serait pas enfui à l'étranger en 1995 s'il n'avait rien à se reprocher. Il ne reviendrait pas en France s'il ne voulait porter des accusations contre des hommes beaucoup plus haut placés que lui et relativiser de la sorte ses propres responsabilités.
Trahi par un fils, qui serait, dit-il, manipulé par une secte et qui a révélé que son père vivait « comme un pacha à Saint-Domingue », M. Schuller sait fort bien qu'il arrive en pleine campagne électorale et qu'il fait trembler de peur tous ceux qui, de près ou de loin, sont associés à l'affaire des HLM.
En fait, il a déjà parlé : l'ancien conseiller général des Hauts-de-Seine affirme que le marché des HLM était « truqué » par le RPR.
Un coup porté à Chirac
Même si la gauche est complètement étrangère à cette coïncidence qui fait rebondir un scandale vieux de sept ans juste avant les élections générales, l'affaire Schuller va objectivement affaiblir M. Chirac et son camp. On regrettera bien sûr que la campagne soit polluée par un débat sur l'immoralité, vraie ou supposée, d'un ou de plusieurs candidats. Mais on ne peut pas arrêter la justice, c'est-à-dire la manifestation de la vérité, comme s'est empressée de le dire, non sans délice, la Garde des Sceaux, Marylise Lebranchu.
L'affaire porte un nouveau coup au chef de l'Etat. Jusqu'à la semaine dernière, tous les sondages d'opinion le donnaient gagnant au second tour avec 51 ou 52 % des voix. Sa cote de popularité a soudain chuté, et tout semble indiquer que l'électorat de droite, probablement désabusé, se porte partiellement sur Jean-Pierre Chevènement, dont la cote atteint maintenant 14 %, et sur Jean-Marie Le Pen. Autrement dit, le chef du Mouvement des Citoyens, qui devrait obtenir le soutien de Philippe de Villiers, travaillerait pour le compte de Lionel Jospin.
M. Chevènement s'en défend qui clame qu'il sera au deuxième tour et parviendra à se débarrasser et de M. Jospin et de M. Chirac. Langage de circonstance, mais cohérent, car le « troisième homme » n'a jamais voulu d'une candidature de témoignage, et se présente pour gagner, aussi ardue que soit la tâche qu'il s'est assignée. Il est chaque jour un peu plus crédible, ce qui réjouit ses partisans, mais consterne tous les autres, dans la majorité comme dans l'opposition, qui préfèreraient un choix de société qui ne les conduise pas à l'aventure. M. Chevènement, qui vient de la gauche et grappille des voix à droite, obscurcit la donne et complique la réflexion de l'électeur. L'éthique du candidat est un élément d'appréciation essentiel, mais pas suffisant.
En fait, le tableau électoral est tellement confus et l'affaire Schuller y introduit un tel impondérable que personne, dans un camp comme dans l'autre, ne peut nourrir la moindre certitude. Lionel Jospin a aujourd'hui de meilleures chances que la semaine dernière, mais seulement si l'ascension de M. Chevènement s'arrête. Si elle se poursuit selon le canevas d'une défection de l'électorat de droite, M. Chirac, qui pouvait être confiant jusqu'à ces derniers jours, court le risque, encore infime mais non négligeable, de ne même pas passer le premier tour, ce qui serait pour lui et pour le RPR une humiliation dont ils ne se relèveraient pas. Si M. Chevènement mord aussi à gauche, c'est M. Jospin qui est en danger.
Un vote de rejet ?
La leçon des sondages les plus récents, c'est que les scandales ont fini par lasser une partie de l'électorat, lequel semble obéir à un mouvement centrifuge qui le dirige vers les candidats de deuxième ligne, comme M. Chevènement ou Jean-Marie Le Pen. Il y aura un vote de rejet à la présidentielle et toute la question est de savoir qui il affectera le plus, de M. Jospin ou de M. Chirac.
On est tenté de dire que ce n'est que justice, tant les coups fourrés ont été nombreux, à droite et à gauche, et tant la question de la moralité du candidat est devenue importante aux yeux des Français. On ne peut pas tromper tout le monde et tout le temps et il vient fatalement un jour où on rattrapé par son passé.
On peut craindre que le désespoir ne conduise les candidats, dans les semaines qui viennent, à imaginer d'autres coups de théâtre qui n'auront rien à voir avec la gestion du pays. Le mal est déjà fait : qui s'intéresse vraiment aux plates-formes dans cette ambiance florentine ? Du temps de travail à la construction européenne, des choix économiques et sociaux à la politique de défense, le débat est oblitéré. Et il le restera tant que M. Schuller ou d'autres continueront d'occuper le devant de la scène, pour le plus grand profit de ces candidats qui non seulement ne sont plus marginaux mais pourraient bien marginaliser le président et le Premier ministre.
On reconnaîtra que, des deux, c'est M. Chirac qui semble aujourd'hui le plus vulnérable à des accusations qu'il n'a jamais su ou pu repousser une fois pour toutes. Mais justement, la gauche doit être jugée sur son bilan. Si on ne recentre pas le débat sur la semaine de 35 heures, sur l'emploi, sur l'Europe, sur le budget, sur la productivité, sur les entreprises, sur les rapports sociaux, sur la sécurité, sur l'école, peu d'électeurs voteront avec des idées claires. Avant qu'on n'ait reparlé de M. Schuller, le gouvernement paraissait à bout de souffle, notamment lors de la publication des statistiques sur l'insécurité. Le sujet a été rapidement chassé des préoccupations populaires par l'affaire Schuller, ce qui explique les soupçons de la droite. Les scandales ont un effet pervers sur le fonctionnement de la démocratie parce qu'ils estompent les dossiers importants et jettent le discrédit sur l'ensemble de la classe politique.
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