Susceptibilité accrue au VIH, évolution ralentie

Une mutation à double tranchant

Publié le 16/07/2008
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UN POLYMORPHISME génétique très fréquent chez les personnes possédant des ancêtres africains augmente de 40 % le risque d'être infecté par le virus du sida. Paradoxalement, cette variation génétique semble ralentir la progression de la maladie. Le décryptage des mécanismes moléculaires à l'origine de ce phénomène pourrait conduire au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Le polymorphisme dont il est question affecte le gène DARC, un gène codant pour un récepteur cellulaire principalement exprimé à la surface des globules rouges ( «Duffy antigen receptor for chemokines»). Les sujets porteurs de cette mutation possèdent des érythrocytes dépourvus du récepteur, une particularité biologique déjà décrite et jusqu'ici connue pour protéger de l'infection par le parasite Plasmodium vivax (voir encadré).

Le récepteur DARC fixe de nombreuses chimiokines inflammatoires. Des données récentes avaient suggéré qu'il pouvait en outre fixer le VIH1. He et coll. (université du Texas, San Antonio) ont décidé de vérifier cette hypothèse lors d'expériences conduites in vitro, sur des cellules en culture.

Ce travail leur a permis de démontrer de manière formelle l'existence d'une interaction entre DARC et les particules de VIH. Les données obtenues suggèrent par ailleurs que cette interaction conduirait les globules rouges à transférer les virus aux lymphocytes T CD4+.

Augmente la susceptibilité à l'infection.

He et coll. ont poursuivi leurs travaux en étudiant une vaste cohorte de soldats de l'US Air Force comptant 1 200 sujets séropositifs pour le VIH, suivis depuis près de 22 ans. Il est alors apparu que la prévalence de la mutation de DARC était significativement plus élevée parmi les sujets séropositifs pour le VIH, indiquant que cette variation génétique augmente la susceptibilité à l'infection. L'analyse des données concernant ces patients a également révélé que la mutation freine l'évolution de la maladie. Dans la cohorte étudiée, les séropositifs porteurs du variant de DARC ont une espérance de vie supérieure d'environ deux ans à celle des sujets infectés qui ne présentent pas la particularité génétique.

Les mécanismes moléculaires à l'origine de ce phénomène paradoxal restent obscurs. L'absence de DARC pourrait augmenter le risque d'infection en entraînant une diminution de l'activité de chimiokines protectrices. Une fois l'infection installée, c'est l'absence de réaction inflammatoire médiée par DARC qui pourrait ralentir la progression de la maladie. Cette théorie reste à démontrer, mais elle « colle » assez bien avec des données concernant l'effet de la chimiokine CCL5 sur la progression du sida. CCL5 est une chimiokine qui interagit avec DARC.

He et al., « Cell Host and Microbe » du 17 juillet 2008, vol. 4, pp. 52-62.

Un changement de valeur sélective

En Afrique, près de neuf personnes sur dix sont porteuses de la mutation de DARC étudiée par He et coll. Cette mutation est depuis longtemps connue pour conférer une résistance à Plasmodium vivax. Malheureusement, ce parasite n'est pas celui responsable des formes mortelles de paludisme qui tuent chaque années plusieurs millions d'Africains.

Les scientifiques qui ont étudié cette mutation imaginent qu'elle est apparue et qu'elle s'est fixée dans la population africaine à une époque où elle protégeait d'une souche de Plasmodium mortelle qui aurait disparu depuis.

Jusqu'à la découverte de He et coll., il était admis que cette mutation n'avait plus aucune valeur sélective pour les personnes qui la portent. Il apparaît désormais qu'elle possède une valeur, mais il s'agit hélas d'une valeur négative.

Si les données obtenues par l'équipe texane sont extrapolées à la population africaine dans sa globalité, ce polymorphisme de DARC serait responsable de 11 % de l'épidémie de sida qui frappe le continent africain.

> ÉLODIE BIET

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8405