L A recherche d'une mutation dans BRCA1 n'est pas une décision facile à prendre, car l'information qui peut en découler n'est pas facile à gérer. Si, de plus, l'information peut être un faux négatif, des questions sont permises quant à l'avenir du dépistage.
Dans le « Journal of Medical Genetics », une équipe, dirigée par le Dr Dominique Stoppa-Lyonnet, et comprenant des chercheurs de l'institut Curie, de l'Institut Pasteur et de l'UCLA (Californie), signale avoir mis en évidence, dans une famille américaine, une délétion de BRCA1 qui avait échappé au séquençage.
Celui-ci, effectivement, n'est pas une méthode parfaite. C'est une méthode automatisée qui se prête aux échelles industrielles. Cependant, comme BRCA1 n'est pas séquencé dans son entier, mais seulement au niveau des mutations déjà répertoriées dans le gène, on pourra ignorer en routine une mutation que la recherche n'aura pas signalée. Tel est le cas de la mutation qui vient d'être mise en évidence.
Peignage du gène
Cette grande délétion n'a pu être visualisée que par une technique d'analyse du gène entier. Cette technique, dite « peignage du gène », consiste à fixer sur une plaque de verre des fragments d'ADN déroulés portant le gène à analyser - les brins d'ADN accrochés parallèlement sur la plaque évoquent le passage d'un peigne. L'hybridation de ces ADN fixés avec une collection de sondes fluorescentes qui couvrent toute la longueur du gène permet alors de découvrir des délétions, inversions, etc., qu'on n'aurait pas cherchées a priori.
Les deux techniques, séquençage et « peignage » de l'ADN, correspondent à deux échelles d'observation différentes : la vérification locale d'une séquence nucléotidique et la vérification de la structure du gène. Ces deux techniques paraissent complémentaires et toutes deux nécessaires ; la preuve en est donnée dans le « Journal of Medical Genetics ». Si l'on veut progresser dans la voie du dépistage, déjà difficile en soi, il paraît donc logique de les mettre toutes deux en œuvre.
Volet commercial
Il y a toutefois des raisons que la raison ignore ; c'est le deuxième volet de l'affaire, et il est commercial. Dans un communiqué plutôt offensif, l'institut Curie met sur la table un conflit qui oppose les chercheurs européens, et apparemment quelques Américains, de la société Myriad Genetics. Elle détient en effet, aux Etats-Unis, les brevets concernant les gènes BRCA1 et BRCA2 et exige apparemment de réaliser, pour toute l'Europe, les premières recherches de mutation familiales dans son usine de Salt Lake City. En Europe, trois des quatre demandes de Myriad Genetics sont encore examinées à l'Office européen des brevets. Mais la firme anticipe leur acceptation, misant peut-être sur le fait accompli pour généraliser le droit américain en matière de brevets.
La démonstration que la technique de Myriad Genetics n'est pas sans faille, là où il n'en faut aucune, va sans doute fragiliser les revendications de la société. Et l'on s'en réjouit.
Aucune légitimité historique ne justifie en effet la revendication d'un monopole - Myriad Genetics a gagné la course à l'identification de BRCA1 dans la dernière ligne droite, en empochant la mise d'autres équipes. Aucune compétence ou performance particulière, non plus - au contraire, semble-t-il. Ajoutons que le coût de l'examen serait multiplié par trois, et que l'on ne verrait pas sans désarroi les banques d'ADN européennes partir pour les Etats-Unis. Il faut, en outre, bien comprendre que le monopole de la première analyse sur des échantillons cliniques est un monopole de facto sur la recherche génétique dans le cancer du sein, ce qui, s'agissant d'un problème de santé planétaire, peut paraître inapproprié.
Cette histoire en rappelle une autre : la demande de brevet, déposée par une firme américaine, sur les greffes de moelle réalisées à partir de cellules souches de sang de cordon, développée en Europe, en particulier à l'hôpital Saint-Louis. Cette firme était simplement la seule à avoir pensé à déposer une demande. Laquelle a été rejetée par les instances européennes. On verra ce qu'il en est cette fois, avec, à la clé, des enjeux beaucoup plus importants en matière de recherche à long terme.
S. Gad et coll. « Journal of Medical Genetics », vol. 38, n° 6, pp. 388-91, juin 2001.
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