JEAN A 59 ANS et il va mourir d'un cancer de la peau métastasé. Il est dans l'angoisse de ne pouvoir maîtriser cette perte de lui-même. Il décide de devenir acteur de cette mort. Ce ressortissant suisse fait donc appel, puisque c'est légalement possible dans son pays, à l'association Exit, présidée par le Dr Sobel, qui propose d'assister au suicide à domicile les malades en fin de vie.
Jean réunit les conditions qui rendent cette intervention possible : il a toute sa capacité de discernement, il a répété sa demande dans le temps, sa maladie est incurable, il est dans un état de souffrance physique et surtout psychologique important et son pronostic est fatal. Le 6 janvier 2004, comme il l'avait lui-même noté dans son agenda, Jean est mort chez lui, dans son lit, après avoir bu une solution léthale délivrée par l'association. Deux journalistes, Stéphanie Malphettes et Stéphan Villeneuve, l'ont accompagné avec leur caméra durant ses dernières semaines de doute et d'adieu à une vie qu'il a apparemment beaucoup aimée. Un documentaire poignant et plein de tact, qui n'occulte rien des interrogations ultimes et fait regarder la mort en face.
Absence de débat.
Projeté en avant-première juste après le vote de la loi sur la fin de vie, ce film, qui sera diffusé par France 2 le 20 mai prochain*, a soulevé des réactions contrastées : tout s'est passé comme si, chargé de ses propres expériences et représentations, chaque spectateur avait visionné un film différent. Seul point de consensus : la qualité de la réalisation et l'émotion réelle, sans mélodrame aucun, qui se dégagent des images.
La relation entre Jean Aebischer et les deux journalistes n'y a probablement pas été pour rien. Ils avaient longuement hésité à filmer la mort elle-même, mais « cela a été le choix de Jean qu'on les filme », ont-ils dit en évoquant ses dernières minutes. Cependant, la volonté de France 2 de présenter ce film comme un élément du débat sur l'euthanasie paraît déplacée : il s'agit ici d'une assistance au suicide pour un homme en possession de ses capacités mentales et physiquement en mesure de le faire lui-même. Sa demande d'aide semble destinée à ne pas faire subir à sa famille les affres d'un suicide par mort violente (l'un de ses proches s'était suicidé d'un coup de fusil dans la tête) et à lui épargner les râles de l'agonie (qu'il a lui-même vécus lors de la mort de sa grand-mère, puis de sa mère, un traumatisme dont il ne s'est jamais remis). Ce choix est personnel et son lien avec la problématique de l'euthanasie paraît très discutable.
Le film permet néanmoins de se confronter à la mort, un sujet souvent nié ou fantasmé. On y voit un Jean heureux de vivre, parlant de la maladie avec détachement. On y aperçoit tout juste le monde médical, incarné par une femme médecin, qui semble compétente et profondément humaine. On y voit aussi des scènes complètement surréalistes, comme lorsque Jean prend rendez-vous avec la mort dans son calepin et que les membres de l'association lui expliquent qu'il vaut « mieux choisir un mardi parce que ça nous laisse le lundi pour aller à la pharmacie ». On n'y voit pas certains membres de la famille qui ont décidé de ne pas cautionner ce film, ni les moments de faiblesse du malade, probablement évités par respect pour lui. Représentant la Sfap (Société française d'accompagnement et de soins palliatifs), le Dr Devalois a rappelé à cette occasion que la chronologie était toujours pour les patients « une source d'angoisse » qui motive les demandes de suicide assisté dans des pathologies comme la SLA. Il a raconté que, en Oregon, où l'on peut se faire prescrire une solution léthale (mais où, contrairement à l'association Exit, personne ne se rend chez vous pour vous assister lorsque vous la buvez), dès que les patients ont leur ordonnance - donc lorsqu'ils contrôlent la situation -, ils ne sont plus qu'un tiers à en faire usage. « Le risque, ce sont les raisonnements de type sophiste : comme le film est superbe, alors la cause est bonne », s'est alarmé le Dr Devalois, craignant que l'émotion du film ne soit instrumentalisée par les partisans de l'euthanasie. En effet, la chaîne a choisi de diffuser le film « brut de décoffrage », sans débat ni film contradictoire.
Certains ont trouvé superbe de pouvoir mourir dans son sommeil, entouré des siens. D'autres ont qualifié de « glauques » les petits arrangements avec le Dr Sobel, la solitude et l'angoisse devant cette mort sur ordonnance ou encore cette impression de n'être déjà plus alors que l'on est encore en vie. Le Dr Devalois a estimé que les réalisateurs avaient fait un travail thérapeutique. La caméra sert d'exutoire au malade et lui permet « de donner un sens à ce qui n'en a pas : sa propre mort ». Pour tout cela, le film vaut d'être vu, car le choix de Jean, c'était aussi de continuer à vivre dans le regard des autres.
* « Le choix de Jean », un film de Stéphanie Malphettes et Stéphan Villeneuve, réalisé par Stéphan Villeneuve, sera diffusé sur France 2 le vendredi 20 mai 2005 dans le cadre de la case documentaire Contre-Courant présentée par Stéphane Paoli.
Suicide et euthanasie
Selon le groupe de réflexion éthique de l'Association européenne des soins palliatifs (Eapc) sur les soins palliatifs et l'euthanasie :
- l'euthanasie peut être définie comme l'acte réalisé par un médecin qui donne la mort intentionnellement à un malade par l'administration de médicaments, à la demande d'un malade compétent et qui le désire ;
- le suicide médicalement assisté peut être défini comme l'acte d'un médecin qui aide intentionnellement une personne à se suicider en lui fournissant les médicaments qu'elle s'administrera elle-même, sur sa demande compétente (c'est le cas de Jean Aebischer).
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