L'ACTIVITE d'une seule protéine dans une seule minuscule région du cerveau serait responsable des effets de la nicotine sur le comportement des mammifères, tout du moins chez la souris. Des chercheurs de l'Institut Pasteur (CNRS URA 2182) viennent de démontrer que la présence de la sous-unité bêta 2 des récepteurs à la nicotine dans l'aire tegmentale ventrale du cerveau des rongeurs est absolument nécessaire à l'établissement d'une dépendance à la nicotine et à la réalisation de certaines tâches cognitives. Cette découverte pourrait déboucher sur le développement de nouvelles stratégies de lutte contre la dépendance tabagique.
La nicotine se fixe à des récepteurs exprimés à la surface des neurones du système nerveux central, les « récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine ».
Les récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine comprennent cinq sous-unités, chacune d'entre elles existant sous seize formes différentes. Les nombreux types de récepteurs résultant de l'ensemble des combinaisons possibles permettent de moduler l'effet de l'acétylcholine et de la nicotine sur le système nerveux.
Le rôle des récepteurs.
L'unité de recherche dirigée par Jean-Pierre Changeux, à l'Institut Pasteur, étudie depuis de nombreuses années le rôle de ces récepteurs dans l'acquisition de la dépendance tabagique. En 1995, cette équipe de chercheurs a eu l'idée de produire une lignée de souris génétiquement modifiées, dépourvues d'une des sous-unités des récepteurs nicotiniques les plus fréquemment exprimées dans le cerveau des mammifères, la sous-unité bêta 2. Deux modifications du comportement ont été notées chez ces animaux mutants. Tout d'abord, les souris qui ne possèdent plus la sous-unité bêta 2 ont des capacités cognitives altérées qui les empêchent d'accomplir certaines tâches, notamment d'explorer l'espace qui les entoure ; ensuite, elles ne s'auto-injectent pas de la nicotine contrairement aux souris témoins. Cette deuxième observation suggère que la sous-unité bêta joue un rôle important dans l'établissement d'une dépendance à la nicotine.
Pour aller plus loin et vérifier que l'absence de la sous-unité bêta 2 est bien à l'origine de ces deux modifications comportementales, Maskos et coll. ont récemment poursuivi ce travail en réintroduisant le gène codant pour la sous-unité manquante dans certains neurones des souris mutantes.
Les chercheurs ont choisi de ne réintroduire le gène que dans une région particulière du cerveau connue pour jouer un rôle central dans les mécanismes de la récompense, l'aire tegmentale ventrale. Pour ce faire, ils ont utilisé un vecteur viral modifié qu'ils ont injecté directement dans la région ciblée du cerveau des animaux. Quelques jours après l'injection, Maskos et coll. ont pu constater que la sous-unité bêta 2 était correctement exprimée et incorporée dans les récepteurs nicotiniques de l'aire tegmentale ventrale des souris manipulées. Parallèlement, les rongeurs ont récupéré des capacités cognitives similaires à celles des animaux témoins. Ils ont également pris goût à la nicotine... L'activité de la sous-unité bêta 2 dans l'aire cérébrale de la récompense semble donc nécessaire à l'établissement d'une dépendance à la nicotine. Elle est aussi visiblement impliquée dans certaines capacités cognitives.
A la surface des neurones.
Le rôle crucial du récepteur nicotinique dans la mise en place de la dépendance tabagique est appuyé par d'autres travaux de l'unité de Jean-Pierre Changeux, publiés simultanément dans la revue « Neuron ». Sallette et coll. y montrent que la nicotine est capable de pénétrer dans les cellules neuronales pour y favoriser la formation de récepteurs possédant une très haute affinité pour elle-même. La surexpression de ces récepteurs à la surface des neurones est à l'origine d'une sensibilité accrue à la nicotine.
Les chercheurs de l'unité de recherche « Récepteurs et Cognition » s'attellent maintenant à la caractérisation des sous-catégories particulières de récepteurs à la nicotine exprimés dans l'aire tegmentale ventrale. Ils espèrent ainsi identifier des structures spécifiquement impliquées dans la dépendance à la nicotine, dont l'inhibition n'altère pas les fonctions cognitives.
Maskos et coll., « Nature » du 7 juillet 2005, pp. 103-107 et Sallette et coll., « Neuron » du 19 mai 2005, pp. 595-607.
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