Si l'importance des travaux américains publiés cette semaine dans les « Proceedings of the National Academy of Sciences » se confirme, la viande de boeuf risque à nouveau de se trouver discréditée. L'équipe californienne d'Ajit Varki vient de montrer qu'une molécule cellulaire, Neu5Gn, inexistante chez l'humain, est absorbée par l'organisme essentiellement après consommation de viande rouge et de laitages.
Alors que diverses études avaient impliqué la cuisson ou les graisses saturées de la viande rouge dans la cancérogenèse, les maladies coronariennes, voire des affections inflammatoires, Ajit Varki et ses collaborateurs se sont orientés vers un sucre retrouvé à la surface des cellules de mammifères non humains, l'acide N-glycolylneuraminique (Neu5Gc). Il existe en quantité chez le boeuf, l'agneau, ou le porc.
Une liaison avec des anticorps
Ses taux sont faibles ou indétectables dans les fruits, les légumes, les oeufs, la volaille ou le poisson.
Les chercheurs le précisent bien d'emblée, il est fort peu probable que l'ingestion de Neu5Gc isolément puisse être responsable d'une quelconque affection. En revanche, il semble concevable que l'accumulation progressive en Neu5Gc par les cellules de l'organisme, au cours de la vie, puisse être impliquée. Notamment, par une liaison avec des anticorps anti-Neu5Gc, qui pourrait contribuer à l'apparition de processus inflammatoires.
S'il était aisément possible de contrôler l'existence de cette molécule dans des tissus humains, ce qu'ont fait les chercheurs (lire plus bas), il était plus difficile d'en évaluer l'absorption alimentaire. Il fallait l'étudier chez des sujets en bonne santé ayant absorbé cette substance à potentiel toxique. Situation éthiquement peu acceptable, qu'A. Varki a contourné en ingérant lui-même une préparation à base de Neu5Gc de porc dilué dans l'eau. Il a été suivi dans son entreprise par deux membres de son équipe, Elaine Muchmore et Pascal Gagneux.
Des dosages ont été réalisés dans les urines, le sang, les cheveux et la salive avant de boire la préparation, puis à intervalles réguliers. Il apparaît que l'organisme élimine la majorité du sucre, mais en conserve et métabolise de faibles quantités. A deux jours, les taux sont environ deux à trois fois plus élevés qu'à t = 0. En deux à huit jours, ils sont proches de ceux de départ.
Sur quelques tissus sains
Pour évaluer l'implication du Neu5Gc dans l'apparition de cancers, les chercheurs l'ont dosé dans des tissus cancéreux humains (ce que des travaux antérieurs avaient suggéré). Pour ce faire, ils ont développé un anticorps capable de se fixer au Neu5Gc tissulaire. De petites quantités sont retrouvées dans les vaisseaux, les cellules sécrétrices. Il se fixe aussi sur les tissus cancéreux humains et sur quelques tissus sains.
De plus, chez le sujet sain, les Californiens ont pu montrer l'existence d'anticorps circulants anti-Neu5Gc, susceptibles de déclencher une réponse immune de type inflammatoire. En l'absence d'aptitude de l'humain à synthétiser le sucre, sa seule source ne peut être qu'alimentaire. D'ailleurs, en culture, les cellules humaines absorbent et incorporent facilement la molécule étrangère.
Enfin, selon les chercheurs, le Neu5Gc pourrait jouer un rôle dans le rejet au cours des xénotransplantations. Les tissus porcins utilisés pourraient être victimes de l'action des anticorps anti-Neu5Gc.
« Proceedings of the National Academy of Sciences », édition avancée en ligne, 29 septembre 2001.
Apports alimentaires en Neu5Gc
|
|
Aliment |
Apport en Neu5Gc pour un apport quotidien recommandé (mg) |
Cabillaud | 27 |
Saumon | 810 |
Thon | 27 |
Poulet | 27 |
Dinde | 27 |
Canard | 27 |
Lait | 711 |
Beurre | 45 |
Fromage (vache) | 600 |
Agneau | 4 860 |
Porc | 5 130 |
Fromage (chèvre) | 5 544 |
Bœuf | 11 610 |
Bœuf (maigre) | 9 720 |
Bœuf (gras) | 10 260 |
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