Une analyse des derniers chiffres Mediator

Une méthodologie qui ne convient pas, selon le Pr Acar

Publié le 22/03/2012
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LE QUOTIDIEN - Une nouvelle fois les conclusions de l’étude effectuée par A. Fournier et M. Zureik ont été largement médiatisées. Une nouvelle fois vous contestez la fiabilité de cette étude. Pourquoi ?

Pr Jean Acar - Avant de vous répondre, je voudrais souligner que je ne nie pas que le benfluorex est une molécule qui peut être dangereuse pour les valves cardiaques. Par ailleurs, mes propos sont libres de tout lien d’intérêt.

Simplement, comme beaucoup de cardiologues et chirurgiens cardiaques, je m’interroge sur la fréquence rapportée des valvulopathies sévères à l’origine de décès, fréquence qui ne correspond pas à l’expérience vécue par un grand nombre d’entre nous. D’où l’analyse critique à laquelle je me suis livré.

Quels sont vos reproches principaux aux études ?

Les deux études largement médiatisées, celle de C. Hill et, plus récemment, celle d’A. Fournier et M. Zureik, reposent en grande partie sur les mêmes enquêtes de la CNAM qui présentent des limites importantes : biais de sélection, absence de population témoin (2e enquête CNAM) et de documents importants (échographies, comptes rendus opératoires, anatomiques ou histologiques des valves)… La seconde étude qui attribue 3 100 hospitalisations et 1 300 décès au benfluorex pose des problèmes supplémentaires.

Lesquels ?

Je veux me concentrer essentiellement sur la méthodologie bien particulière utilisée pour calculer le nombre de décès, à partir d’une étude américaine (V. Y. Nkomo) qui avait pour objectif d’évaluer la prévalence des valvulopathies dans la population générale et le surrisque de décès sur une période de 8 à 10 ans.

Dans les deux études prises en compte, dans l’analyse de Nkomo, les critères d’inclusion étaient très rigoureux. Mais, au-delà de cette similitude les deux études diffèrent sur les populations incluses : l’étude effectuée dans la population générale aboutit à un risque relatif (RR) de décès de 1,36 à 8 ans alors que l’étude réalisée dans le comté d’Olmsted compte plus de cas symptomatiques et de valvulopathies sévères (2 fois plus de sténoses aortiques, notamment) ce qui aboutit à un RR de décès de 1,75. Pourquoi A. Fournier et M. Zureik ont-ils retenu ce second RR pour effectuer leur extrapolation et aboutir au chiffre de 1 320 décès ? Un choix d’autant plus difficile à comprendre que le taux de survie à cinquante mois qui se situe aux alentours de 90 % dans la série française est, à cinq ans, de l’ordre de 80 % dans la population générale américaine et de seulement 56 % dans la série d’Olmsted. Visiblement on n’a pas affaire aux mêmes populations.

Hypothèses et réalités.

Pourquoi réagir avec autant de vivacité puisque vous ne niez pas la dangerosité du benfluorex ?

Peut-être parce que je n’oublie pas que la cardiologie a été le berceau de la médecine fondée sur les preuves, ce qui nous a conduits à bien distinguer hypothèses et estimations d’une part et démonstration factuelle d’autre part.

Ceci dit, je reconnais que cette évaluation a posteriori est difficile compte tenu de la rareté de cette pathologie, de l’originalité des valvulopathies médicamenteuses, des co-morbidités et des facteurs confondants fréquents en raison même des indications du benfluorex (y compris à travers les utilisations hors AMM). Cette complexité aurait justifié une approche pluridisciplinaire, en prenant en compte l’expérience et l’avis des cardiologues et chirurgiens cardiaques ; cela n’a pas été le cas et je le déplore car on aurait pu au moins éviter des erreurs et des omissions dans la sélection des patients.

In fine, je pense qu’il n’est jamais bon de présenter comme un fait démontré une évaluation « élastique », reposant sur une méthodologie discutable à plus d’un titre.

(1) Article intégral sur www.cardiologie-francophone.com

 Propos recueillis par le Dr ALAIN MARIÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9103