A PARTIR du VIIIe siEcle , après une période de conquête qui étend l'emprise de l'Islam de Samarkand à Saragosse, les conditions sont réunies pour l'éclosion d'une nouvelle civilisation du savoir : un vaste espace économique et politique, une langue commune (l'arabe), une mosaïque de peuples dont les élites ont gardé contact avec les savoirs anciens (la décadence de la civilisation grecque a entraîné une fuite des cerveaux vers l'Est), une nouvelle religion avec un corpus favorable aux sciences.
C'est le préambule de l'exposition.
La décision du calife omeyyade Abd al-Malik (685-705) d'arabiser l'administration de l'empire entraîne un vaste phénomène de traduction qui va bientôt s'étendre aux savoirs anciens. Cette phase de traduction, qui va durer 150 ans, est encouragée par les premiers califes abassides, qui lancent, depuis Bagdad, une chasse aux manuscrits anciens relayée par d'autres mécènes (hauts fonctionnaires et scientifiques aisés). Les monastères et les bibliothèques de Byzance sont mis à contribution. L'avènement du papier, fabriqué pour la première fois à Samarkand, puis à Bagdad, va contribuer au succès de l'opération. Les bibliothèques se multiplient. Toutes les disciplines anciennes pratiquées par les savants de la Grèce, de l'Inde, de la Mésopotamie et de Perse seront enseignées exclusivement en arabe jusqu'à la fin du XIe siècle.
La partie de l'exposition consacrée aux mathématiques rend d'ailleurs aux Indiens la numération décimale à dix chiffres (dont le zéro) qui leur revient. Mais ce sont les mathématiciens des pays d'Islam qui les ont fait connaître et ont trouvé au zéro de nouvelles fonctions. Ce n'est que justice si algèbre vient de « al-jabr ». Puis l'exposition nous fait lever les yeux au ciel. L'astronomie est une science d'autant plus appréciée qu'elle rythme les heures de prière et les dates des fêtes religieuses. Indissociable, l'astrologie prospère, elle aussi, malgré les interdits. Manuscrits précieux, astrolabes (le plus ancien qui nous soit parvenu vient de Bagdad et date de 927), cartes du monde et globes célestes illustrent la vision du monde des Arabes.
Une œuvre de référence.
L'exposition se resserre autour de la présentation du monde vivant et de l'homme dans son environnement. La médecine arabe sera servie par quelques figures illustres comme al-Râzi (Rhasès, 865-935), Ibn Sina (Avicenne, 980-1037) et Ibn Ruchd (Averroès, 1126-1198). A Damas, les califes omeyyades ont attiré les meilleurs médecins de l'époque, qui sont de formation grecque ou syriaque. Tandis qu'à Bagdad, les abbassides recruteront des médecins d'origine persane. Tous ont été formés par les ouvrages de Galien et d'Hippocrate, dans le texte grec ou dans les versions syriaques réalisées à partir du VIe siècle. Après avoir traduit en syriaque, le chrétien Hunayn Ibn Ishâq (Joannitius) prendra la tête de la traduction en arabe. Avec son « Canon de la médecine », Ibn Sina réalise une œuvre de portée générale qui servira de référence et suscitera des commentaires jusqu'au XVIIe siècle. Gérard de Crémone, mort en 1187, le traduit en latin à Tolède ainsi que les œuvres d'al-Râzi et la partie chirurgicale de l'œuvre d'al-Zahrâwî (Abulcasis), largement diffusée.
Aux savoirs des anciens qu'ils vont structurer de manière cohérente, les médecins arabes ajoutent un sens aigu de l'observation.
Les premiers hôpitaux.
La naissance des hôpitaux (le plus ancien semble avoir été construit à Bagdad à la fin du VIIIe siècle et l'empire en comptera des dizaines) relève de cette double approche. Lieux de refuge pour les malades et les voyageurs, ce sont aussi des lieux d'observation des symptômes qui permettent de vérifier (et de rectifier au besoin) ce qui est dit dans les livres, ainsi que des lieux d'enseignement. Chaque hôpital possédait plusieurs services avec à leur tête un spécialiste.
Toutefois, la médecine pratiquée le plus couramment n'était pas toujours celle des livres. La médecine traditionnelle des barbiers, des herboristes et des sages-femmes occupe le terrain, où l'on tient compte aussi des conseils rassemblés dans « la Médecine du prophète ». La saignée est fréquente et le médecin visiteur appréciera les miniatures extraites d'une traduction du Dioscoride où le praticien garde une attitude de sage assis sur ses coussins lorsqu'il reçoit un patient et quelles que soient les circonstances. Le pharmacien, contrôlé par des inspecteurs, tient son échoppe au marché. Il exécute l'ordonnance du médecin : préparations spécifiques ou médicaments codifiés. De nouvelles plantes venant des différentes régions du monde arabe ont complété les acquis du « Livre des médicaments simples », de Galien, et du « Livre des plantes », de Dioscoride. Al-Kindî (c. 800-c. 870) tente de trouver une règle mathématique pour calculer l'intensité d'un médicament.
L'exposition s'achève sur le rôle des sciences dans les arts : géométrie en architecture, chimie pour les céramiques ou le verre émaillé. Ce qui permet de présenter quelques objets exceptionnels.
Panneaux ajourés comme des moucharabiehs jetant des tâches de lumière sur le sol, bassin d'images laissant entendre un bruit d'eau, modules audiovisuels intégrés, coups de projecteurs sur des objets et des manuscrits remarquables, tout contribue à redonner leur âge d'or aux sciences arabes, longtemps occultées par les Occidentaux ou bien réduites à un rôle de « passeur » du savoir grec. Les jeunes passionnés qui partirent à leur tour au XIIe siècle à la conquête du savoir arabe accumulé à Tolède et à Palerme pour le mettre en latin le comprirent. Et se l'approprièrent à leur tour.
Entrée côté Seine. Du mardi au vendredi de 10 h à 18 h, les week-ends et jours fériés de 10 h à 19 h, 9 euros, 7 euros (réduit) 5 euros (moins de 26 ans). Catalogue 59 euros.
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