C'EST L'HISTOIRE d'une réussite olympique qui rejaillit sur des dizaines de patients en rééducation neurologique ou traumatologique au centre Sainte-Marie (fondation hospitalière éponyme), à Paris. À 29 ans, le kinésithérapeute- cycliste Olivier Donval avait déjà un palmarès impressionnant à son actif : champion d'Europe en tandem en 2003, sixième aux jeux Paralympiques (JP) d'Athènes, en 2004, champion de France 2007 sur route, double champion de France 2008 (route et contre- la-montre). Pourtant, après Athènes, le jeune déficient visuel (le diagnostic de rétinite pigmentaire a été posé quand il avait 17 ans), atteint également d'une surdité sévère, avait failli renoncer à sa carrière de champion. Trop de stress sur les stades d'Athènes, confie-t-il. «On ne s'imagine pas l'énergie que doit investir un handicapé pour participer aux jeux, observe à ce propos le Dr Dominique Pailler. Il doit sortir de lui-même pour intégrer une équipe, prendre des transports collectifs, trains, avions, sacrifier à des formalités interminables, dans l'ambiance délétère des files d'attente.»
Surtout, il faut pouvoir endurer des rythmes d'entraînement éreintants. «Largement comparables à ceux que s'impose un athlète valide de haut niveau, estime le Dr Jean-Claude Druvert. Une étude canadienne a chiffré à 10000heures sur dix ans le minimum d'entraînement pour un amputé qui veut courir le 100m, ou un paraplégique le 1500m en fauteuil.»
«Dans mon cas, détaille Olivier Donval, j'ai droit à quatre ou cinq séances par semaine, pour dix à quinze heures de vélo hebdomadaires. Des entraînements à Pontoise, à Vincennes, ou autres circuits de banlieue. Ils nécessitent une logistique lourde à gérer. Ne serait-ce que parce que ma déficience visuelle impose la participation d'un autre coureur sur le tandem, en l'occurrence John Saccomandi, un dessinateur industriel classé coureur de première catégorie, avec lequel je cours régulièrement en binôme.» De surcroît, inscrire tous ces entraînements dans l'emploi du temps d'un kiné, qui doit assurer le suivi de patients dans des programmes qui se déroulent au moyens et long cours en centre de rééducation, cela ne va pas de soi.
Après quelque temps de flottement, Olivier Donval a finalement décidé de persévérer et de concourir pour la sélection de Pékin.
Quelle leçon de courage, serait-on tenté de s'exclamer. La remarque irrite les médecins du handisport. À commencer par le Dr Pailler. «Il faut arrêter de donner dans le commentaire larmoyant, proteste-t-il. La démarche d'Olivier Donval est comparable à celle d'un Alain Bernard. Ce sont des sportifs bien structurés dans leur tête, qui subissent l'un comme l'autre des cadences d'entraînement difficiles. Ce qui est remarquable, avec le handisport, c'est qu'il permet de surmonter ses problèmes personnels, de les sublimer pour se réaliser dans la compétition de haut niveau. Le handicap est alors complètement effacé derrière le sportif.»
Des patients impliqués.
La direction de Sainte-Marie n'a pas ménagé son soutien. Responsable des kinés du centre, Raphaël Pouliquen a mis à contribution toute son équipe. «Les patients aussi ont joué le jeu à fond, ajoute-t-il, qui ont bien compris que parfois leurs programmes pouvaient être modifiés.»
Des patients qui ont tous vibré avec l'aventure olympique de leur kiné. Du moins d'aussi près qu'ils ont pu la suivre. «Si on s'était contenté de la télé, on n'aurait été au courant de rien», regrette une patiente, «un peu désespérée, confie-t-elle, de ne pas avoir pu suivre les épreuves de tandem en direct».«Nos têtes pensantes ont l'air d'ignorer qu'il y a des sportifs handicapés de cette trempe», accuse un autre. Mais Internet a sauvé le spectacle. Via son blog, Olivier Donval a pu fournir à ses patients-supporters de ses bonnes nouvelles. Plusieurs centaines de clics ont été enregistrés quotidiennement pendant trois semaines. Jusqu'à ce mémorable 14 septembre, où il a décroché la médaille de bronze sur un parcours de 96,8 km, en tandem avec John Saccomondi, le duo tricolore seulement devancé par les Polonais et les Finlandais.
Évidemment, le centre Sainte-Marie avait préparé un pot pour le retour de son kiné-champion. «Mais deux jours avant la date fixée, Olivier a passé la tête par surprise au beau milieu d'une réunion de l'ensemble du staff, raconte la coordinatrice, Nancy Joucla. On s'est immédiatement levés pour l'applaudir, le champagne a coulé!»
Quelques jours après, le kiné en bronze renfilait sa blouse blanche et reprenait sa place auprès des appareillages d'isocinétisme, des tapis roulants arthromoteurs et autres plate-formes robotisées pour le travail de plasticité neuronale.
«Quelle leçon de courage et aussi d'humilité pour nous tous, qui avons notre paquet à porter», s'exclame Michel R., un septuagénaire qui se rééduque ici depuis plusieurs mois à la suite d'un accident médullaire. «Nos patients discutent beaucoup au sujet des JP, constate le Dr Laurence Mailhan, MPR. On les sent tous beaucoup plus impliqués dans leurs programmes de rééducation. Le bénéfice des JP est palpable. Même s'il faut faire attention de ne pas alimenter de faux espoirs sur le mode: vous voyez, avec de la volonté, on arrive à tout...»
Quant au héros de Sainte-Marie, sa double vie de kiné et de champion ne devrait pas s'arrêter là. Prochaine étape, Séville, où se disputeront l'année prochaine les championnats du monde de sa discipline. Toujours en handisport. Mais Olivier Donval caresse d'autres ambitions pour la suite : rapprocher le handisport du sport valide, au moins, dans un premier temps, pour un entraînement commun. Et, pourquoi pas, pour courir ensuite les mêmes compétitions que les valides ?
Plainte de France Télévision contre le Pr Juvin
Aucune épreuve des JP n'a été retransmise en direct par France Télévision. S'insurgeant contre cette carence, le Pr Philippe Juvin, secrétaire national de l'UMP en charge des questions de santé, a vivement réagi. «Le service public est là, par définition, avec l'argent du contribuable, pour remplir une mission de service public. Or, a-t-il accusé, le service public, en la matière, a fait de la ségrégation.»
France Télévision ne nie pas qu'aucun direct n'a pu être retransmis, mais invoque des considérations budgétaires. Le groupe public a déposé plainte le 26 septembre contre le Pr Juvin, estimant diffamatoire le qualificatif de ségrégation.
«Je persiste et je signe», déclare au « Quotidien » le PU-PH, qui estime que «cette polémique a le mérite d'ouvrir un débat public sur la question de l'image du handicap».
De leur côté, les médecins du handisport déplorent le faible impact des JP dans les médias français, y compris dans la presse sportive. «Ils privent leur public d'un magnifique spectacle», déplore le Dr Pailler, qui remarque que les chaînes allemandes ont programmé des retransmissions des JP et obtenu d'excellents scores d'audience.
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