IL S'ADRESSE au médecin. « Vous me dites, tiens, qu'elle va bientôt mourir et, moi, je ne ressens ni amour, ni compassion, rien qu'une espèce de vide, de lassitude. Vu de l'extérieur, ça doit être monstrueux probablement, et je ne comprends pas moi-même ce qui se passe dans mon cœur... » Ainsi dès la scène 3 de l'acte I, Ivanov livre-t-il l'horrible tourment qui le mine et qu'il ne comprend pas. Plus tard, il parlera de culpabilité, mais il ignore en quoi elle consiste. Qu'a-t-il donc fait ? Quelle faute ? Perdu, il va au bout d'une cruauté à laquelle il ne peut adhérer. « Sale youpine ! », va-t-il jeter à Anna, sa femme, qui va s'éteindre, vaincue par la phtisie...
L'énigme qu'il est à lui-même est également énigme pour les autres, le petit monde que peint Tchekhov, et énigme aussi pour le public. Cela donne une tonalité sourde aux échanges, quelque chose de cotonneux que rend très bien le spectacle avec ce décor tiraillé entre réalité et spiritualité et la couleur du jeu. Pas étouffé, mais sobre. Comme l'est Eric Caravaca qui incarne Ivanov et qu'un simple accablement du corps traduit l'accablement de l'être. C'est très dur de jouer Ivanov. Le creux, l'absence. Rien de gratifiant. Et Caravaca s'en tire très bien, dans la retenue, la rigueur.
La traduction sans fausse pudeur de Françoise Morvan et de André Markowicz donne un relief particulier aux violentes remarques antisémites des dialogues. Ce petit monde est ainsi. Et l'on retrouve dans la pièce des lignes de construction qui sont caractéristiques de Tchekhov. Anna Petrovna (Valérie Blanchon) va s'effacer, Sacha (Sophie Rodrigues) s'impose dans sa réserve. D'ailleurs, elle veut le sauver, Ivanov... Et, face à lui, intérieurement miné, il y a Borkine (Eric Elmosnino). Superbe interprétation en nervosité, activité, mouvement. Comme le positif d'un négatif. Mais Borkine aussi est, en fait, un anxieux. Cela nous est montré.
Et puis il y a Roussillon, magnifique, Evelyne Didi et Dominique Valadié, excellentes, Jean-Marie Winling, Hélène Surgère, Guillaume Lévêque, des comédiens sensibles, intelligents engagés. Un très beau, très émouvant, très grand spectacle.
Théâtre national de la Colline, grande salle, mardi à 19 h 30, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30 (01.44.62.52.52). Durée : 2 h 30 sans entracte. Jusqu'au 30 avril. Les textes de « Ivanov », dans les traductions de Françoise Morvan et de André Markowicz, sont publiés par Actes Sud dans la collection Babel.
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