N'Y AURAIT-IL qu'un soir à consacrer au théâtre, n'y aurait-il qu'un spectacle à voir, ce serait celui-ci. Même si, autant le signaler d'entrée comme un modeste service rendu au public, l'effort que l'on attend de vous n'est pas mince. C'est tout de même long (3 h 45 de présence du plateau à la fosse avec un bref entracte) et il vaut mieux être disponible. Mais il y a tant de délicieuses sollicitations au cours de la représentation, on vous en demande tant - et avec esprit, humour - que vous entrez dans un jeu, dans le jeu, et que l'avertissement ne doit en rien être dissuasif... A la fin, en vagues toujours recommencées, des bravos, remerciements et flots d'applaudissements. Chacun a passé un moment exceptionnel de jubilation dramatique et de réflexion sur le théâtre même et sur le monde de l'opéra et sur la société.
Un peu d'histoire. En 1996, à Grenoble, assez rapidement, Jean-François Sivadier, charme, intelligence, sensibilité, audace, talents divers, acteur et metteur en scène, fait descendre dans une fosse d'orchestre une poignée de spectateurs pour une vraie/fausse répétition de « la Traviata » de Verdi, avec les quatre protagonistes indispensables : la diva, le chef, le metteur en scène, la jeune chanteuse. Et bien sûr l'orchestre. Dans ce jeu avec le feu théâtral, ce sont les spectateurs qui figurent l'orchestre... C'est une proposition brève, enlevée, délirante, une « prova d'orchestra » follement drôle et merveilleusement interprétée. La production fera les beaux soirs d'un certain nombre de fosses, de l'Odéon au Châtelet en passant par la salle Favart.
Depuis, Sivadier et ses amis se sont remis au travail et l'on a pu voir la saison dernière un merveilleux « Galilée » de Brecht avec dans le rôle-titre, Nicolas Bouchaud. Et puis, donc, ils ont remis sur le métier cette « Italienne » devenue « Italienne, scène et orchestre ». Soit un spectacle en deux parties.
Au début, le public est sur un gradin posé sur le plateau. Il surplombe la scène et la fosse, il fait face à la salle. Le public est le chœur. Une heure trente de folie dramatique. On passe au foyer où l'on peut voir le fameux reportage consacré à la diva que, dans cette version, et pour cause, on n'a pas encore vue. Et c'est dans la fosse, que l'on s'installe. On est l'orchestre. Une heure trente encore. Et même un peu plus, car comment se quitter, comment le chef Sivadier pourrait-il résister aux tentations de l'intervention, du jeu avec le public/musicien.
Sivadier, si content.
On ne vous racontera pas la finesse et l'intelligence de toutes les situations imaginées par Sivadier. Saluons les interprètes, magnifiques. Nicolas Bouchaud, éberlué et au bord de la crise de nerf, formidable dans le rôle du metteur en scène qui a beaucoup d'idées et qui doute pourtant ; Marie Cariès, Tanagra coquin et creusé d'angoisse, jeune chanteuse douée et parfois humiliée face à un ténor extravagant et touchant dans son prosaïsme, personnage très bien tenu par Vincent Guédon, drôle, fin. Au piano, discrète et indispensable Grütte, Véronique Timsit. Assistante dévouée et souvent flouée, Nadia Vonderheyden qui donne au personnage de Majeva ce supplément de vulnérabilité qui émeut par-delà le rire. Il y a les techniciens, etc. Jean-Jacques Beaudouin et Jean-Louis Imbert.
Et puis bien sûr celle que l'on attend, June Preston, alias la merveilleuse, immense et éblouissante dans la tenue, la précision, l'audace, Charlotte Clamens. Et puis Jean-François Sivadier, avec son regard d'enfant qui s'amuse. Si content d'avoir ourdi ce coup grandiose qui en dit plus sur le théâtre que bien des essais, qui égratigne les fastes vaniteux de l'opéra, et qui fait la preuve qu'il est non seulement un excellent acteur, metteur en scène, chef de troupe, mais aussi un écrivain, un homme de réflexion qui n'assène pas ses idées mais les transpose et les fait comprendre par la scène.
Théâtre de Nanterre-Amandiers, à 20 h du mardi au samedi, à 15 h 30 le dimanche. Durée : 3 h 45, entracte compris (01.46.14.70.00). Jusqu'au 18 décembre. Le texte est publié par Les Solitaires Intempestifs.
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