Commençons d’abord par dire que l’instruction judiciaire étant encore en cours, seules ses conclusions permettront de savoir ce qui s’est réellement passé dans le préparatoire de l’officine parisienne d’où est partie la triste affaire qui secoue aujourd’hui le monde médico-pharmaceutique. Quoi qu’il en soit, et bien au-delà du dramatique fait-divers, l’intoxication dont ont été victimes au moins 16 personnes et qui aurait déjà causé le décès d’une patiente de 57 ans conduit à s’interroger sur les règles à respecter pour réaliser des préparations de qualité à l’officine.
«On entend par préparation magistrale tout médicament préparé extemporanément en pharmacie selon une prescription destinée à un malade donné», dit le code de la santé publique. Ces préparations ne peuvent donc être réalisées à l’avance. Selon quelles règles les pharmaciens doivent-ils répondre à ces prescriptions particulières ? En réalisant leurs préparations dans le respect des recommandations de bonnes pratiques officinales (BPO). «Il s’agit là de recommandations qui ont été émises (ndlr, en 1988) par voie de circulaires et n’ont par forcément valeur obligatoire», fait toutefois remarquer Jérôme Peigné, professeur de droit de la santé (Paris-V), qui souligne dans le même temps qu’une récente jurisprudence du Conseil d’Etat, au contraire, a reconnu l’opposabilité de telles recommandations. On peut alors s’interroger sur la portée juridique des recommandations de bonnes pratiques.
Un contrôle d’uniformité de masse.
Autre point soulevé par Jérôme Peigné : «L’adverbe “extemporanément” présent dans la définition française de la préparation magistrale ne se retrouve pas en droit européen; or la directive communautaire l’emporte sur le droit national.» Sous certaines conditions, et avant tout celle du respect des BPO, les préparations par lot seraient donc autorisées.
Concernant le contrôle des matières premières utilisées à l’officine, théoriquement requis, il n’est presque jamais réalisé en pratique. D’ailleurs, l’origine certifiée des ingrédients devrait, à elle seule, pouvoir justifier de leur conformité.
Quant au contrôle du produit fini, les « Recommandations relatives aux bonnes pratiques pour la réalisation des préparations à l’officine » (texte réalisé en 2003 à l’initiative de l’Ordre des pharmaciens) rappellent simplement : «Un examen des caractères spécifiques à chaque forme galénique doit être réalisé. Il est recommandé de pratiquer un essai d’uniformité de masse pour les préparations présentées en unités de prise (selon l’essai de la Pharmacopée française, Xe édition) .» En pratique, pour la fabrication de gélules, par exemple, ce contrôle reviendrait à peser chaque gélule pour en vérifier le poids. Un contrôle qui, toutefois, ne permet d’attester ni la nature des constituants ni leur dosage respectif.
Le rôle des extraits thyroïdiens dans l’affaire des préparations magistrales mortelles a également entraîné le rappel de la loi dite Talon (loi n° 80-512 du 7 juillet 1980). Ce texte avait permis de mettre un terme aux prescriptions de préparations à visée amaigrissante présentées sous la forme de cocktails thérapeutiques. Les substances appartenant à quatre groupes de principes actifs – diurétiques, anxiolytiques, anorexigènes et extraits thyroïdiens – ne pouvaient, dès lors, se retrouver dans la même préparation.
Malheureusement, ce nouveau cadre réglementaire a vite trouvé ses limites. La pratique de prescriptions fractionnées (plusieurs préparations magistrales associées), ou associant spécialités et préparations magistrales, s’est développée, détournant ainsi l’interdiction. Une pratique ancienne, constamment réprimée par les juridictions.
Irremplaçable.
On le voit, l’écart entre une réglementation théorique, parfois floue ou difficile à respecter, et la pratique en ville, semble, en matière de préparations magistrales, faire parfois le lit de l’erreur et de l’abus. «Mais attention, insiste Jean-Luc Audhoui, trésorier de l’Ordre des pharmaciens, il ne faut pas réduire la préparation magistrale au seul domaine de l’amaigrissement; elle est encore irremplaçable dans de nombreuses situations, notamment en pédiatrie et en dermatologie.»
Malfaçon, malveillance ou escroquerie ? Personne ne peut encore répondre à cette question dans l’affaire de la pharmacie parisienne. Son titulaire a été placé en garde à vue. Un seul médecin, spécialisé dans la perte de poids, serait pour l’heure impliqué dans les prescriptions, «mais il y en a peut-être d’autres», estime le Pr Didier Houssin, directeur général de la Santé, qui qualifie l’affaire de «très préoccupante». Cent vingt-six personnes auraient pris les gélules amaigrissantes préparées par l’officine parisienne.
Lire également :
> Une prescription à risque
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature