POUR LE Dr JACQUELINE KAHN-NATHAN, qui a exercé la gynécologie médicale jusqu’en 1993,la naissance du Planning familial coïncide avec son entrée dans la vie professionnelle. Elle entame sa carrière en 1957, au moment de l’essor de la contraception. «Une chance!», s’exclame-t-elle. L’année précédente, outre-Atlantique, les Drs Gregory Pincus et John Rock ont inventé la pilule. Lecontrôle de la natalitésemble à la portée de toutes les femmes. «Mon enfant quand je veux, si je veux», dit un slogan du Mouvement français pour le planning familial (Mfpf). «Cela devient une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour l’émancipation de la femme au sein de la famille et du couple», tempère le Dr Kahn-Nathan.
De 1956 à 1962, la contraception reste limitée aux méthodes locales. Dans la capitale, à l’hôpital Broca, où elle débute tout en ouvrant un cabinet de ville, le Dr Jacqueline Kahn-Nathan participe en pionnière à la propagation du diaphragme. La procédure à suivre est archaïque et contraignante. Pour se procurer le préservatif féminin, la patiente doit adresser une ordonnance médicale, où figurent les mensurations, avec un chèque, à la pharmacie centrale de Bâle, en Suisse. Un médecin averti lui en montrera l’usage. Des femmes «très informées et privilégiées», commente la gynécologue,en profitent depuis déjà quelques années. En 1960, des stérilets venus des Etats-Unis, bien que non commercialisés en France – ils le seront au milieu de la décennie – arrivent à l’hôpital parisien Necker, où le Dr Jacqueline Kahn-Nathan s’occupe de contraception. «Nous en recevions par voie postale, nous les stérilisions et nous retournions à la fondation Ford de New York les fiches correspondantes», se souvient-elle. Puis, à la demande de la consultation d’orthogénie de la Mutuelle générale de l’Education nationale, pour qui elle travaille, la praticienne se rend outre-Manche, en 1961, pour suivre un stage d’une semaine sur les diaphragmes et les capes. Elle est le troisième médecin français à se former en Grande-Bretagne. «A Necker, très vite, nous étions débordés, raconte-t-elle. Nous prenions toujours dans notre équipe un confrère du Planning. Des généralistes, comme des spécialistes, cherchaient à s’initier, afin de répondre à une demande croissante des femmes.»
Face la résistance ordinale, des gynécologues motivés.
En 1963, le Dr Jacqueline Kahn-Nathan publie, sur les recommandations du chirurgien de la stérilité Raoul Palmer, une communication médicale consacrée à la contraception, une des premières du genre, dans la revue de la Société nationale pour l’étude de l’infécondité. Dix-neuf cent soixante-cinq : la spécialiste parisienne en gynécologie médicale a placé, «déjà», 400 stérilets «sans la moindre difficulté d’insertion». Entre-temps, la pilule débarque sur le marché (août 1960), sous le nom d’Enovid 10 (noréthynodrel). Avec un succès limité. D’une part, de 25 à 30 % des femmes ne le supportent pas, et, d’autre part, le corps médical y voit un médicament de l’endométriose et non un contraceptif. Il faut attendre 1965 pour que la pilule soit considérée comme un produit contraceptif à part entière, en dépit d’une résistance toujours forte du corps médical.
A la fin de 1967, on compte 700 000 Anglaises et 6 millions d’Américaines sous contraception orale, pour seulement 300 000 Françaises. «Jamais je ne donnerai de conseil contraceptif à une femme. La contraception n’est pas un problème médical. Le médecin ne saurait être amené à intervenir que si les produits autorisés présentaient des risques pour la santé», écrit en 1965 le Pr Robert Merger, président de l’Ordre. «Il convient de distinguer l’institution ordinale, garante de nos attitudes légales, des comportements des gynécologues médicaux, composés de femmes à 70-75%, souligne le Dr Kahn-Nathan . Nous n’attendrons pas que les contraceptifs soient autorisés pour les prescrire. Jamais nous n’avons eu la sensation d’outrepasser des droits au point de nous imaginer derrière les barreaux (loi du 31 juillet 1920, ndlr) . Notre démarche s’est toujours voulue plutôt joyeuse. Nous étions tellement persuadés de satisfaire un besoin légitime de la population féminine que ça ne nous semblait pas répréhensible. Dans mon esprit laïc, tourner le dos aux sollicitudes des femmes aurait relevé de la non-assistance à personne en danger. J’ai cheminé, sûre de moi, sans état d’âme philosophique, sur la voie de la contraception.»
Le colloque singulier était dénué de tout rapport de pouvoir. «La contraception entraîne naturellement un rapport d’égal à égal. Il s’agit d’une conduite humaine, pas spécifiquement médicale. Les Françaises étaient reconnaissantes à qui leur procurait une vie sexuelle sans risque.»
Enfin, la loi Neuwirth du 19 décembre 1967, qui libéralise la contraception et entérine les démarches militantes, ouvre de nouveaux horizons. Le ministère de la Santé accorde des subventions aux établissements du Mfpf, créés par la loi, ce qui permet de rémunérer notamment des psychologues pour le suivi des femmes et des conseillères conjugales, relève Jacqueline Kahn-Nathan, qui préside aux destinées du centre de Planning familial de la région parisienne de 1967 à 1970.
La vigilance des mouvements féministes demeure, mais la contraception ne constitue plus un combat. Et si la législation s’applique sans entraves, c’est grâce à une résistance silencieuse des gynécologues médicaux. Qui se souvient que le législateur avait assorti son texte de «restrictions» pour le faire voter à main levée ? Si quelques rares praticiens objecteurs de conscience, ont, conformément à la loi, établi des certificats de non-contre-indication de la pilule, jamais les carnets à souches pour contraceptifs ne verront le jour, pas plus qu’on ne posera les stérilets en salle d’opération ou que la délivrance de la pilule aux mineures ne sera assortie d’une autorisation parentale. «Je ne te demande pas qui tu es, mais quel est ton mal», commente le Dr Jacqueline Kahn-Nathan, citant Pasteur. En 1968, la piluleapparaît comme «la méthode la plus efficace», souligne-t-elle dans « la Gazette médicale ».
La condition féminine « quitte la préhistoire ».
Avec l’interruption volontaire de grossesse, le cheminement s’annoncera plus chaotique, semé d’embûches. Le Dr Guy-Marie Cousin, actuel président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens français, se souvient des années 1975-1976. Interne à l’hôpital de Nantes, il se rappelle que «la plupart des chefs de service se retranchaient derrière la clause de conscience». La loi Veil du 17 janvier 1975, «n’imposant pas aux services hospitaliers la pratique des IVG, nombre d’entre eux se déchargeaient sur le Planning familial. Ainsi, à Nantes, nous récupérions, dans une structure hospitalière située à l’extérieur du Chru, donc hors du service de gynécologie-obstétrique, les échecs et les complications d’avortements pratiqués par des sages-femmes et des généralistes militants du Mfpf. Le secteur privé, lui, ne s’occupait pas du tout de ce genre de problème».
Portée par le Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (Mlac), qui pousse à la désobéissance civile (manifestes des « 343 Salopes » d’avril 1971 et de médecins, 252 en mai 1971, puis 331 en février 1973), et le Mouvement de libération des femmes, la condition féminine «a quitté la préhistoire», reconnaît Maya Surduts, militante du Mlac, aujourd’hui membre de la Coordination des associations pour la défense de l’avortement et de la contraception (Cadac). Les décrets de la loi Neuwirth sur le remboursement de la contraception (1967-1972) «nous ont sortis d’une société un peu vichyste», tandis que la loi du 17 janvier 1975 relative à l’IVG a eu le mérite «de rétablir l’ordre public», comme l’admet Simone Veil, «à qui les femmes doivent beaucoup de s’être battues devant une représentation nationale d’un autre âge».
2006 : la contraception n’est plus à la mode, l’IVG non assumée.
Où en sommes-nous cinquante ans plus tard ? «L’histoire n’a pas d’évolution linéaire. Nous nous trouvons dans un creux de la vague. La contraception, considérée à tort comme un problème résolu, n’est pas à la mode. Ça n’intéresse plus les médias», observe le Dr Kahn-Nathan. L’immigration, porteuse d’enfants, comme la montée de mouvements sectaires puissants sont passées par là. Pour l’avortement, «ça fait moins de dix ans que les interventions sont acceptées dans les services de gynécologie», estime le Dr Guy-Marie Cousin . «La guerre de religion», particulièrement sensible dans l’ouest du pays, «a disparu», constate-t-il, tout en déplorant que «les femmes de 20-25ans et les jeunes couples connaissent mal le fonctionnement de leur corps».
Plus de 200 000 Françaises, dont 11 000 mineures, avortent encore chaque année. Selon le Mfpf, association loi 1901, forte de 5 000 adhérents et bénévoles, de 450 salariés temps partiel et de 70 organisations départementales, dont 30 centres d’orthogénie, il reste encore beaucoup à faire. «Rien n’est acquis. Une loi peut en effacer une autre, à l’instar des Etats-Unis, de la Pologne et, tout récemment, de l’Italie», explique au « Quotidien » Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement. Dans la semaine du 7 au 13 février, les centres de Planning familial de Périgueux, Bordeaux et Tours ont été l’objet de menaces ; en Touraine, la police a désamorcé une bombe. «Les extrémistes catholiques et islamistes cherchent à grignoter» la devise Mfpf «laïcité-égalité-liberté-mixité». En outre, le financement du Planning est aléatoire. «Quelque part, l’avortement, qui touche une femme sur deux au cours de sa vie, demeure un tabou et la sexualité associée à la procréation. Ce qui explique que l’IVG est non assumée, et la contraception, mal appliquée», estime Maya Surduts. Il n’est qu’à voir la loi du 4 juillet 2001 qui porte le délai limite pour avorter de douze à quatorze semaines d’aménorrhée. La Cadac dénonce l’absence fréquente de possibilité de choix de la méthode (chirurgicale ou médicamenteuse) et de l’anesthésie (locale ou générale) et relève les difficultés rencontrées par les mineures, certains établissements refusant le «référent adulte». Les IVG à la Mifégyne, sont possibles jusqu’à la septième semaine d’aménorrhée, en médecine de ville (arrêté du 28 juillet 2004). Pourquoi ne pas autoriser le Planning à les pratiquer ? demande Maya Surduts. Notre société moderne, libre et permissive, «se la jouerait faux». «Dans les médias, la sexualité a une valeur marchande», à cent lieues des droits des femmes. En somme, «l’histoire du Mfpf est encore à faire», avant qu’elle soit écrite.
Le calendrier de l’anniversaire
C’est le 18 mars que le Mouvement français pour le planning familial fêtera son anniversaire, par une journée publique. Elle sera précédée, les 16 et 17 mars, par le congrès du Planning, également à la Mutualité.L’anniversaire est également célébré par la publication d’un livre, « Liberté, sexualités, féminisme – 50 ans de combat du Planning pour le droit des femmes », conçu et réalisé par Isabelle Friedmann (« La Découverte », 280 pages, 20 euros). A cette occasion, une rencontre est organisée avec Simone Veil et Françoise Laurant (la présidente du mouvement) le 22 février (17 h 30) à la Fnac Saint-Lazare. Enfin, le 8 mars, journée des femmes, un colloque aura lieu à la BnF (site François-Mitterrand), avec au programme : le Planning et le féminisme ; le Planning, les religions et la laïcité ; le Planning et la politique ; les relais du Planning dans les milieux culturels, médicaux, intellectuels et journalistiques.
>>>>>Mfpf, tél. 01.48.07.29.10, www.planning-familial.org.
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