La thèse d'un agent viral remise en avant

Une interférence protectrice entre certaines souches de prions

Publié le 20/10/2005
Article réservé aux abonnés

« NOUS AVONS mis au point un nouveau test très sensible pour l'infection par les agents EST (encéphalopathies spongiformes transmissibles) qui est capable d'établir une distinction entre les différentes souches, comme celles qui causent la scrapie du mouton et celles qui provoquent la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) chez l'homme », explique au « Quotidien » le Pr Laura Manuelidis, qui dirige le département de neuropathologie à l'université de Yale (New Haven, Connecticut).
« Dans ce test, des souches d'agents spécifiques peuvent prévenir la superinfection par une autres souche d'agent », poursuit-elle. « La protection repose sur la réplication persistante de l'agent infectieux, mais pas sur la protéine prion mal pliée fabriquée par la cellule. Cela, joint aux observations indiquant que la majorité de la protéine prion anormale peut être séparée des particules infectieuses, suggère qu'un agent viral est en cause et ne concorde pas avec l'idée de prions infectieux », déclare la chercheuse, qui défend depuis longtemps la thèse d'un agent viral causal.
« Notre projet est d'utiliser ces tests d'infectivité rapide afin de faire la distinction rapide entre les différents agents, y compris ceux qui sont liés à l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine, maladie de la vache folle) , tant au niveau moléculaire qu'au niveau biologique », ajoute-t-elle.
Dans les encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST), comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, la scrapie chez le mouton et l'encéphalopathie spongiforme bovine, aucune réponse immune adaptative (cellules B et T) contre un agent infectieux étranger n'a été détectée. Cependant, l'équipe de Laura Manuelidis (université de Yale) a pu montrer au cours des sept dernières années que l'infection des souris par un agent atténué de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (SY-MCJ) peut protéger contre la superinfection par un agent MCJ plus virulent et rapidement létal (FU-MCJ, isolé au Japon). Ces souris « vaccinées » ne présentent ni maladie ni protéine prion pathologique, pendant toute la durée normale de leur vie.

Un test rapide d'interférence dans des cellules nerveuses.
Laura Manuelidis, avec la collaboration de deux chercheurs japonais (Nishida et Katamine), a répliqué ce phénomène d'interférence dans une culture cellulaire simplifiée, dépourvue de cellules immunes.
Les chercheurs ont mis au point un test rapide d'interférence dans des cellules nerveuses de souris. Lorsque ces cellules non infectées (témoins) sont cocultivées avec des cellules infectées par le FU-MCJ ou par la souche 22L de la scrapie (souche typique), ou encore par la souche Ch de la scrapie (scrapie expérimentale de la chèvre), une infection rapide est observée, avec production nouvelle de protéine prion pathologique (PrPres) dès le 25e jour.
En revanche, lorsque les cellules sont préalablement infectées par le SY-MCJ, cette infection SY-MCJ protège contre la superinfection par les agents FU-MCJ, 22L-scrapie ou Ch-scrapie, avec, dans les trois cas, absence de protéine prion pathologique (pas de PrPres).
Lorsque les cellules sont préalablement infectées par la souche 22L ou Ch de la scrapie (entraînant une production abondante de PrPres), seule la souche 22L et non la souche Ch protège contre la superinfection par l'agent FU-MCJ (caractérisée par une bande supplémentaire PrPres de 13kd).

Des particules défectueuses interférentes.
« Certains agents EST comme la souche SY typique de la MCJ sporadique pourraient produire des particules défectueuses interférentes, comme cela se voit dans de nombreuses infections virales et viroïdes persistantes », observent les chercheurs. « A la différence de la protéine prion pathologique de l'hôte, les agents EST peuvent aussi provoquer des défenses cellulaires innées, dont des facteurs intracellulaires et diffusibles qui ne sont pas restreints aux cellules immunes. »« De petits ARN interférants pourraient aussi être produits en réponse aux agents EST », ajoutent-ils.
La méthode de coculture décrite dans cette étude pourrait constituer un test sensible pour identifier ces types d'infection et étudier l'évolution de ces agents.
Comme les cellules infectées par l'agent de la MCJ sporadique sont résistantes à deux souches de la scrapie, les chercheurs proposent qu'un « agent EST rarement pathogène pourrait contribuer à protéger les personnes contre l'infection par les souches EST du mouton dans la nature, et pourrait expliquer pourquoi un aussi petit nombre de personnes ont eu une MCJ liée à l'ESB (maladie de la vache folle)  ».

« Science », 21 octobre 2005, p. 493.

> Dr VERONIQUE NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7827