Tabac, alcool.
M. F. souffre depuis quelques jours d'une asthénie importante.
Ce patient de 75 ans, gros tabagique (30 paquets années) et consommateur d'alcool, se plaint de douleurs des deux jambes ( « comme des tuyaux de plomb ») et d'une anorexie d'apparition brutale.
Ses antécédents se caractérisent par :
- une néoplasie prostatique avec bilan d'extension négatif qui a conduit à l'administration d'une hormonothérapie
- une HTA traitée par diurétiques ;
- une Bpco sévère avec une Vems à 55 % de la valeur théorique traitée par un bêta 2 mimétique de longue durée d'action et un corticoïde inhalé.
Dyspnée
A l'interrogatoire, le patient décrit une dyspnée qui serait majorée depuis quelques jours.
On note la présence de discrets oedèmes des membres inférieurs (sans que le patient ait néanmoins gagné de poids : ce dernier étant constant à 68 kg).
Il existe des ronchi diffus des deux champs pulmonaires (sans qu'il y ait de modification par rapport à l'examen antérieur).
La TA du patient est à 12/7, le pouls est régulier à 72/min.
Le reste de l'examen clinique ne montre aucune anomalie si ce n'est une diminution des réflexes ostéotendineux.
Dès lors, un bilan biologique est effectué :
Hb : 11 g/dl, hématocrite : 32,7 %, leucocytes : 4 060 avec 62 % de neutrophiles, 1 % d'éosinophiles, 0 % de basophiles, 25 % de lymphocytes et 12 % de monocytes, Plaquettes : 180 000, VS 35 à la première heure, glycémie : 4,66 mmol/l, créatinine : 12,3 mg/l, urée 0,21 g/l, acide urique : 47 mg/l, Na+ : 129,9 mEq/l (N entre 135 et 145), K+ : 5,93 mEq/l (N entre 3,4 et 5), Asat : 13 UI/l, Alat : 20 UI/l, GGT : 94 UI/l, phosphatases alcalines : 66 UI/l (N entre 37 et 111), CRP : 9 mg/l (N < 7,5), PSA : 0,3, protides totaux : 56 g/l (N entre 65 et 80), Ca++ : 91 mg/l.
Question
Quels autres examens biologiques faut-il faire pour comprendre l'hyponatrémie, élément essentiel de la discussion clinique ?
1) le calcul de l'osmolarité,
2) l'ionogramme urinaire,
3) une électrophorèse des protides,
4) autre.
Réponse
Réponse : 1, 2, 4.
1) Il existe une hypo-osmolarité
L'hyponatrémie (natrémie inférieure à 135 mmol/l) est un désordre hydroélectrolytique fréquent. Elle traduit une hypo-osmolarité plasmatique responsable d'une hyperhydratation intracellulaire.
Néanmoins, il est important d'éliminer des fausses hyponatrémies ; notamment lorsqu'il existe des concentrations élevées de macromolécules comme les protides, les lipides ou dextrans.
On peut également trouver des hyponatrémies sans hypo-osmolarité plasmatique lorsqu'il existe une augmentation de la concentration plasmatique d'une substance osmotiquement active comme le mannitol, les produits de contraste.
Cependant, le plus souvent, l'hyponatrémie reflète une hypo-osmolarité plasmatique.
Dans cette situation, la répartition des pressions osmotiques de part et d'autre des membranes cellulaires conduit, du fait de cette hypo-osmolarité, à augmenter l'eau du compartiment intracellulaire, recréant ainsi une hyperhydratation intracellulaire.
Dans notre cas clinique, il est aisé de calculer l'osmolarité plasmatique grâce à la formule :
P osm = 2 x [Na (mmol/l) + 10] + glycémie (mmol/l), soit P osm = 2x139,9 + 4,66 = 284,46, sachant que les valeurs normales sont comprises entre 290 et 300 mOsm/l.
Au total, il existe bien une hypo-osmolarité, ainsi qu'un problème d'hémodilution que l'on retrouve du fait de la baisse des protides sanguins et de la chute de l'hématocrite ; ces éléments traduisant la rétention hydrique.
2) Il existe une hypernatriurie
L'ionogramme urinaire permet de mieux appréhender les causes de déshydratation du sujet, mais aussi d'avoir une idée des troubles responsables de cette hyponatrémie.
Notre cas clinique permet de retrouver une hypernatriurie à 30 mmol/l.
Un calcul de l'osmolarité urinaire par la formule (sodium + potassium) x 2 + urée a permis de déterminer une importante élévation de cette dernière, laquelle est supérieure à l'osmolarité plasmatique.
3) Il faut doser l'hormone antidiurétique
On a pu mettre en évidence un excès de sécrétion d'ADH plasmatique, élément en faveur d'un syndrome inapproprié de sécrétion d'ADH.
- Le calcul de la clairance en créatinine. Cette dernière peut être estimée par la formule de Cockroft (140 - âge en années) x (poids en kg)/(0,8 x créatinine en μmol/l). Dans notre cas, cette clairance est de 52,6, élément témoignant d'une probable insuffisance rénale fonctionnelle (du fait des discrets œdèmes des membres inférieurs).
Question 2
Compte tenu de cette hyponatrémie, nous nous trouvons devant trois situations possibles, laquelle est la bonne ?
1) il existe une hyponatrémie de déplétion ou l'hyperhydratation cellulaire est associée à un volume extracellulaire normal ;
2) il existe une hyponatrémie de dilution ou l'hyperhydratation cellulaire est associée à un volume extra-cellulaire cliniquement normal,
3) il existe une hyponatrémie par inflation hydrosodée ou l'hyperhydratation cellulaire est associée à un volume extracellulaire.
Réponse 2
La bonne proposition est la 2.
Volume extracellulaire normal et hyponatrémie.
Dans notre situation, le patient présente un volume extracellulaire normal car il n'existe pas cliniquement de signes en faveur d'une déshydratation, ni d'œdèmes pouvant traduire une hyperhydratation extracellulaire.
Le but du raisonnement clinique était de mieux préciser l'état d'hydratation extracellulaire, mais aussi d'évaluer le retentissement urinaire de cet état. Le tableau étant celui d'une hyponatrémie avec hypernatriurie associées à un volume extracellulaire normal et à un syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique.
Le Siadh
Le syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (Siadh) est caractérisé par une sécrétion trop importante et inadaptée d'ADH par rapport à l'osmolarité sanguine, ce qui freine le rein et l'empêche d'effectuer la dilution des urines, d'où une hyperhydratation de l'organisme avec hyponatrémie.
Cliniquement, les signes sont inconstants et aspécifiques
- des signes généraux : asthénie et anorexie profonde,
- des signes digestifs : nausées et vomissements,
- des signes nerveux : irritabilité, somnolence, confusion ou obnubilation,
- des signes neurologiques proportionnels au degré d'hyponatrémie (abolition des réflexes ostéotendineux, positivité du signe de Babinski, syndromes bulbaires, crises convulsives, voire coma profond.
Les signes biologiques reflètent l'inflation hydrique des différents compartiments de l'organisme et la perte urinaire de sel :
- hyponatrémie parfois très sévère (< 110 mmol/l) avec hypo-osmolarité plasmatique,
- taux plasmatique élevé d'ADH (dans notre situation clinique il était à 15 pg/ml, la normale étant inférieure à 6),
- osmolarité urinaire élevée avec un rapport osmolarité urinaire et plasmatique > 1,5 ; natriurèse > 20 mmol/l.
Deux autres signes doivent être pris en considération :
- l'abaissement de l'urée sanguine,
- l'abaissement de l'uricémie inférieure à 100 μmol/l.
L'administration de diurétiques explique les résultats obtenus dans notre cas où l'uricémie est supérieure à la normale, et où le dosage de l'urée est normal.
Prise en charge
Un traitement symptomatique de cette hyponatrémie doit rapidement être effectué.
A ce titre, la restriction hydrique est le point essentiel. Ainsi l'administration de 500 à 700 ml d'eau permet une correction de cette hyperhydratation.
On peut utiliser, si l'osmolarité plasmatique est trop basse, du furosémide.
L'administration de solutés salés hypertoniques n'a d'intérêt qu'associée à la restriction hydrique lors des importantes hyponatrémies avec troubles nerveux majeurs.
On utilise aussi, mais avec une surveillance rénale stricte, de la déméclocycline, qui bloque l'effet de l'ADH au niveau des cellules du tube rénal distal.
A coté de la correction de l'hyponatrémie, un traitement étiologique se doit d'être secondairement réalisé.
Scanner thoracique
En reprenant notre cas clinique, il semble tout à fait opportun, compte tenu des problèmes respiratoires du sujet, d'effectuer un bilan radiographique pulmonaire.
Ce dernier permet ainsi de trouver une masse hilaire droite.
Un scanner thoracique est alors effectué (Cf cliché).
Ce dernier permet de mettre en évidence une lésion hilaire droite développée aux dépens de la lobaire inférieure.
Cette lésion étant très suspecte, une fibroscopie bronchique et un prélèvement anatomopathologique de cette masse ont été effectués.
L'analyse a permis de retenir le diagnostic de cancer bronchique à petites cellules.
Le cancer bronchique à petites cellules représente 20 % des tumeurs malignes du poumon.
Le tableau clinique est souvent médiastinal. Cette tumeur sécrète un matériel antidiurétique superposable à l'ADH et son évolution spontanée est foudroyante, avec le décès en 1 à 4 mois.
Notre patient conscient de la gravité de la situation a préféré l'abstention thérapeutique.
(1) Médecin généraliste (Banyuls-sur-Mer), (2) praticien hospitalier en service de néphrologie (CHG Joffre, Perpignan), (3) pneumologue (attaché au CHG de Perpignan), (4) médecin généraliste (Banyuls-sur-Mer).
Etiologies du Siadh
- Les affections néoplasiques
Il s'agit des carcinomes bronchiques (à petites cellules), du pancréas, du duodénum, de la vessie, de l'uretère, de la prostate.
On retrouve aussi les lymphomes, les thymomes, les mésothéliomes.
- Les affections du système nerveux central
Il s'agit des méningites, des encéphalites, des abcès cérébraux, des accidents vasculaires cérébraux, des hydrocéphalies, des psychoses, des tumeurs cérébrales, des atrophies cérébelleuses ou cérébrales, du delirium tremens, du syndrome de Guillain-Barré.
- Les lésions pulmonaires non malignes :
tuberculose ou pneumonies bactériennes ou virales.
- Les médicaments :
narcotiques, Ains, psychotropes, antimitotiques peuvent être à l'origine de Siadh.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature