Réserve alcaline haute
Les autres éléments de l'ionogramme sanguin sont : natrémie 142 mmol/l, chlorémie 106 mmol/l, réserve alcaline 33 mmol/l, calcémie 2,35 mmol/l, phosphatémie 1,35 mmol/l, protidémie 73 g/l. Cette hypokaliémie isolée asymptomatique (2,6 mmol/l) sera à nouveau confirmée deux semaines plus tard par son médecin traitant. La réserve alcaline haute (34 mmol/l) est également retrouvée. Cette jeune femme pèse 47 kg pour une taille de 1,54 m. Elle ne prend aucun médicament, ne consomme pas de réglisse.
Un bilan plus approfondi est alors réalisé, sur les conseils du spécialiste. La natriurèse est à 100 mmol/l, la kaliurèse à 80 mmol/l, le taux d'urée à 250 mmol/l. Il existe également une hypocalciurie (0,03 mmol/kg/j). La diurèse des 24 h est de 1,6 l.
Gradient transtubulaire de K
L'osmolalité sanguine (OsmS) est de 294 mmol/l. L'osmolalité urinaire (OsmU) est de 610 mmol/l. Le gradient transtubulaire de K (GTTK) est calculé : Ku x OsmS /OsmU x Ks, soit 80 x 294/610 x 2,6 = 14,8. Ce GTTK élevé témoigne d'une réaction inadaptée du rein à l'hypokaliémie. Cette jeune femme vient d'apprendre que son frère aîné âgé de 32 ans est suivi dans une autre région pour une hypokaliémie découverte également de façon fortuite lors d'une hospitalisation pour un accident de la voie publique.
Commentaire 1
Cette hypokaliémie est familiale. Elle évoque une tubulopathie héréditaire.
La découverte d'un frère également atteint d'une hypokaliémie chronique est suffisante pour évoquer une maladie familiale héréditaire. En l'absence d'un autre membre atteint, une hypokaliémie isolée, asymptomatique, avec pression artérielle normale, chez un adulte jeune, doit toujours conduire à évoquer une tubulopathie rénale. Le GTTK élevé (14,8) confirme la réponse inadaptée du rein à une hypokaliémie aussi sévère. Une réponse adaptée du rein aurait donné une valeur du GTTK < 2. L'hypokaliémie est donc bien secondaire à une fuite rénale de potassium. L'absence d'hypertension artérielle permet d'exclure la responsabilité de l'aldostérone dont l'excès de sécrétion est responsable d'une réabsorption excessive de Na+ dans le tube collecteur cortical.
Les hypokaliémies avec hypertension artérielle ont toujours comme mécanisme une réabsorption excessive du sodium dans le tube collecteur cortical (TCC). Lorsque l'aldostérone et ses dérivés ne sont pas en cause, on peut évoquer le syndrome de Liddle qui est la tubulopathie héréditaire associée à une hypertension artérielle, souvent sévère, et qui se caractérise par une réabsorption massive du Na+ dans le tube contourné distal suite à des mutations intervenues au niveau du gène codant pour le canal sodium épithélial du tube collecteur.
La présence d'une alcalémie et d'une hypocalciurie avec hypokaliémie donne à ce syndrome le profil d'une prise inavouée de diurétique thiazidique dont l'effet hypocalciurique est bien démontré. La patiente ne prend pas de diurétique. On évoque donc une tubulopathie héréditaire dénommée syndrome de Gitelman qui est lié à une mutation du gène codant pour le cotransporteur Na+/Cl- dans le tube distal. L'inactivation de ce cotransporteur est responsable de la perte du transport de Na+ vers les cellules du tube contourné distal. Il s'ensuit une réabsorption du chlore trop lente. C'est une affection autosomique récessive, les deux parents étant hétérozygotes pour l'anomalie génétique. La prévalence du gène anormal n'est donc pas rare dans la population générale.
Le syndrome de Gitelman est à distinguer du syndrome de Bartter, autre tubulopathie héréditaire avec hypokaliémie et normotension. Il s'agit également d'une affection autosomique récessive. Le profil biologique est celui de l'effet d'un diurétique de l'anse puisqu'il existe une alcalose métabolique et une hypercalciurie. Le déficit enzymatique se situe au niveau de l'anse ascendante de Henlé. L'affection se révèle le plus souvent dans la petite enfance. L'hypercalciurie peut entraîner une néphrocalcinose.
Commentaire 2
Cette tubulopathie rénale héréditaire ne détruit jamais le rein.
Les patients et leur famille sont toujours inquiets lorsqu'on découvre une affection héréditaire. Ils doivent être rassurés, car cette anomalie enzymatique héréditaire touche seulement le tubule distal et n'entraîne aucun autre dysfonctionnement rénal. Une alimentation riche en potassium permet de maintenir une kaliémie autour de 3 mmol/l. La prise de sels de potassium n'est pas nécessaire lorsque l'apport alimentaire est correct. Il faudra néanmoins informer les patients atteints de syndrome de Gitelman qu'ils seront plus exposés que d'autres aux conséquences cliniques d'un mécanisme de perte supplémentaire en potassium, par exemple lors de troubles digestifs créés par une gastro-entérite. Une surveillance étroite devra alors être engagée afin d'éviter une baisse de la kaliémie au-dessous de 2 mmol/l, ce qui serait dangereux au plan cardio-vasculaire. Toute gastro-entérite doit faire l'objet d'une surveillance particulière et rapprochée de la kaliémie. Il ne faut pas hésiter à hospitaliser ces patients lorsqu'ils ont un problème digestif entraînant des pertes supplémentaires de potassium.
Pour les familles atteintes d'anomalies héréditaires du rein, l'Association pour l'information et la recherche sur les maladies rénales génétiques (Airg) (1) peut apporter toutes informations utiles sur la maladie. Une meilleure connaissance de la maladie et les progrès réalisés dans la connaissance de son mécanisme et, à terme, de son traitement éventuel sont les apports appréciés de cette association.
(1) Airg, 130, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris, tél. 01.43.35.51.95.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature