Insuffisance rénale
Elle a une insuffisance rénale modérée (clairance calculée par la formule de Cockcroft à 43 ml/ min), sans anomalie du sédiment urinaire. Cette insuffisance rénale est d’évolution progressive avec une perte de filtration glomérulaire de 1 à 1,5 ml/an au cours des trois dernières années. Une maladie glomérulaire étant exclue (sédiment urinaire normal), cette insuffisance rénale progressive est rattachée à une néphroangiosclérose du vieillissement rénal.
Aucun élément clinique ne permet d’évoquer une néphropathie interstitielle chronique. Un doppler des artères rénales a éliminé une néphropathie ischémique par sténose athéromateuse des artères rénales. A l’échocardiographie, le ventricule gauche est hypertrophié et sa fraction d’éjection systolique est mesurée à 65 %.
L’automesure à domicile confirme l’insuffisance du contrôle tensionnel (151/85 mmHg) sous une bithérapie associant inhibiteur calcique et antialdostérone. Cette association a été prescrite il y a un an, lors de la dernière consultation cardiologique.
Constipation, diarrhée
En dehors de l’hypertension artérielle persistante, la patiente a une pathologie digestive s’exprimant deux à trois fois par mois par de la diarrhée qui suit une période de constipation de plusieurs jours. Apparue depuis environ un an, ce trouble du transit digestif va être l’objet d’investigations endoscopiques.
Devant cette insuffisance de contrôle de l’hypertension, le médecin traitant décide d’ajouter un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA 2).
Fatigue
La patiente décrit au bout d’une semaine une fatigue inhabituelle. L’automesure de la pression artérielle au domicile confirme néanmoins le meilleur équilibre tensionnel (125/76 mmHg). Cette fatigue est rapportée dans un premier temps à la baisse du niveau tensionnel. Quelques jours après la consultation, la patiente fait un malaise à son domicile le matin, au lever. Le médecin traitant trouve une pression artérielle basse (95/65 mmHg) avec un rythme cardiaque lent et sinusal. Il l’adresse aux urgences de l’hôpital de proximité.
Le bilan biologique réalisé au service des urgences révèle une hypobicarbonatémie à 10 mmol/l, un trou anionique à 23 mmol, une kaliémie à 6,8 mEq/l, une chlorémie à 105 mEq/l, une aggravation de l’insuffisance rénale avec une clairance calculée à 25 ml/mn. La glycémie est normale. Sur l’ECG, des ondes T pointues et symétriques dans les dérivations précordiales témoignent de l’hyperkaliémie dangereuse. La mesure des gaz du sang confirme l’acidose métabolique avec un pH à 7,31. La saturation oxygénée est normale (96 %) et la PaCO2 est légèrement abaissée à 28 mmHg. L’aggravation de l’insuffisance rénale est fonctionnelle, liée à un état de déshydratation (perte de 2 kilos en quelques jours, hémoconcentration avec hyperprotidémie à 80 g/l) secondaire à un épisode diarrhéique récent. La réhydratation par sérum salé et sérum bicarbonaté permet le retour rapide à la fonction rénale antérieure, ainsi que la correction de l’acidémie, de l’hypobicarbonatémie et de la kaliémie. Au moment de la découverte de l’hyperkaliémie, la patiente reçoit 60 g per os de polystyrène sulfonate de sodium (Kayexalate) et ne sera pas dialysée.
Commentaire 1
Savoir interpréter une anomalie de l’équilibre électrolytique et acidobasique.
Cette patiente a une acidose métabolique hyperkaliémique avec un trou anionique (voir prochain article). Rien ne permet d’évoquer une acidose par surcharge acide d’origine exogène ou endogène. Ce trou anionique de 23 mmol est la conséquence de la rétention d’acides due à l’aggravation de l’insuffisance rénale. Cependant, le niveau de l’insuffisance rénale (clairance de Cockcroft à 25 ml/ min) ne peut expliquer la sévérité de l’hypobicarbonatémie et de l’hyperkaliémie, ni le caractère décompensé de l’acidose métabolique (acidémie). Une acidose tubulaire distale avec hyperkaliémie se surajoute à l’acidose de l’insuffisance rénale chronique. La valeur normale de la chlorémie (105 mEq/l) est expliquée par la présence d’un trou anionique anormal.
Commentaire 2
Relier le malaise à l’acidose métabolique hyperkaliémique.
Le malaise présenté par cette patiente à son domicile est d’origine multifactorielle : une hypotension secondaire à une déshydratation extracellulaire, aggravée par le traitement anti-hypertenseur, et un retentissement cardiaque de l’acidémie et de l’hyperkaliémie (ondes T amples et pointues à l’ECG). La déshydratation extracellulaire est secondaire à l’épisode diarrhéique récent. L’association antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 et antialdostérone dans un tel contexte d’hypovolémie a empêché le rein de jouer son rôle correcteur face à cette hypovolémie d’origine digestive. L’association des deux médicaments a créé un hypoaldostéronisme majeur. De plus, un hypoaldostéronisme-hyporéninisme primitif est souvent associé à une néphropathie vasculaire du sujet âgé ou à une néphropathie obstructive par obstacle bilatéral des voies urinaires.
Chez notre patiente, quinze jours après l’arrêt des deux médicaments antihypertenseurs, alors qu’un état normovolémique est retrouvé, les dosages sériques de l’activité rénine et de l’aldostérone sont en dessous de la limite inférieure des valeurs normales tant en position assise qu’en position orthostatique. Ces résultats confirment ainsi l’existence d’un hypoaldostéronisme-hyporéninisme lié à la néphroangiosclérose.
L’hypoaldostéronisme-hyporéninisme doit être évoqué devant une kaliémie (5 à 6 mEq/l) associée à une kaliurèse basse (< 50 mEq/l) chez un patient normovolémique (sans diurétique, sans diarrhée) dont la fonction rénale est normale ou modérément altérée (clairance de Cockcroft > 40 ml/min).
Commentaire 3
L’acidose tubulaire distale hyperkaliémique est la conséquence d’un hypoaldostéronisme majeur créé par l’association antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 et antialdostérone.
C’est un fait non rare de constater une élévation de la kaliémie après administration d’un antihypertenseur bloquant le système rénine-angiotensine intrarénal (IEC, ARA 2). L’angiotensine 2 est en effet le plus puissant stimulant de la sécrétion d’aldostérone par la glande surrénale. L’aldostérone agit au niveau du tube distal et du tube collecteur pour réguler la sécrétion tubulaire du sodium, du potassium et des ions H+. Les médicaments anti-hypertenseurs qui bloquent le système rénine-angiotensine intrarénal créent un hypoaldostéronisme dont les conséquences sur le niveau de la kaliémie sont d’autant plus importantes qu’il existe préalablement un hypoaldostéronisme-hyporéninisme lié à une néphropathie vasculaire ou obstructive et une insuffisance rénale.
L’élévation de la kaliémie est d’abord la conséquence de l’hypoaldostéronisme induit par l’association antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 et antialdostérone. Le phénomène est réversible après l’arrêt des médicaments. Un phénomène d’échappement peut également survenir après plusieurs mois de traitement. C’est la raison pour laquelle il est recommandé de surveiller régulièrement la kaliémie chez les patients hypertendus qui reçoivent ces classes thérapeutiques, surtout chez les personnes âgées qui ont une insuffisance rénale modérée liée au vieillissement du rein. L’utilisation simultanée d’un médicament antihypertenseur bloquant le système rénine-angiotensine intrarénal et d’un antialdostérone est dangereuse chez le sujet âgé, compte tenu de la fréquence de l’insuffisance rénale, dont la sévérité est souvent sous-évaluée.
L’acidose métabolique décompensée a également contribué à cette hyperkaliémie élevée puisqu’une acidémie crée un état de résistance à l’entrée du potassium dans les cellules.
Ce sont donc à la fois l’acidémie et l’hypoaldostéronisme qui sont à l’origine de cette hyperkaliémie qui pouvait entraîner un arrêt circulatoire. Acidémie et hyperkaliémie ont contribué au malaise de cette patiente en créant une inefficacité myocardique à lutter contre l’hypovolémie induite par la diarrhée. Les ondes T pointues et symétriques traduisent l’effet myocardo-toxique de l’hyperkaliémie. L’hypobicarbonatémie sévère explique l’acidémie. Si la patiente avait eu une fonction rénale normale, le taux plasmatique de bicarbonate ne serait pas tombé à un niveau aussi bas. Dans l’acidose tubulaire distale avec hyperkaliémie, sans insuffisance rénale, la bicarbonatémie demeure supérieure à 17 mmol/l. Cette patiente avait une insuffisance rénale qui s’est aggravée avec la déshydratation, ce qui a contribué à une rétention d’acide créant le trou anionique sévère et l’acidémie.
Le mécanisme de cette acidose métabolique hyperkaliémique est donc mixte : d’une part, l’acidose tubulaire distale créée par l’hypoaldostéronisme iatrogène, d’autre part, la rétention d’acide secondaire à l’insuffisance rénale aggravée par la diarrhée et l’hypoaldostéronisme. Cet accident iatrogène aurait pu être mortel. La surveillance de la kaliémie doit être étroite lorsqu’on prescrit un antihypertenseur bloquant le système rénine-angiotensine intrarénal et l’utilisation d’un antialdostérone est déconseillée en cas d’insuffisance rénale.
Enfin, l’exploration endoscopique a rapporté les alternances de diarrhée et de constipation à une diverticulose sigmoïdienne sévère.
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