Une histoire de la SEP

Publié le 07/12/2005
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LE 14 MARS 1868, le Dr Jean Martin Charcot, considéré comme le fondateur de la neurologie moderne, donne une description précise et claire des lésions observées dans la sclérose en plaques. Il la différencie de la maladie de Parkinson qu'il avait décrite quelques années plus tôt sous le nom de « paralysie agitante » (1861-1862). La même année, il affirme l'existence d'une autre maladie particulière, la sclérose latérale amyotrophique, connue sous le nom de maladie de Charcot.
Avant lui, Jean Cruveilhier avait déjà rapporté, en 1835, les premières représentations des lésions caractéristiques, et, en 1866, Edmé Félix Alfred Vulpian avait utilisé pour la première fois le terme de sclérose en plaques, au lieu de l'ancien terme de sclérose en taches ou en îles. Mais c'est Charcot qui confère à la maladie son identité nosographique.

Une nouvelle maladie ?
A partir du XIXe siècle, les diagnostics de sclérose en plaques se multiplient et, dans certaines régions, la fréquence de la maladie est telle qu'on parle même d'épidémie. Ce qui conduit certains auteurs, comme Andrée Yanacopoulou, au Canada (« Découverte de la sclérose en plaques. La raison nosographique », les Presses de l'université de Montréal, 1997), ou A. Compson, en Angleterre (« The Story of Multiple Sclerosis », London, Churchill Livingstone, 1998), à s'interroger : s'agit-il d'une nouvelle maladie apparue au XIXe siècle ou d'une plus ancienne qui serait mieux identifiée ?
Dans un récent ouvrage, « Multiple Sclerosis : the History of a Disease » (New York, Demos, 2005), T. Jock Murray reprend l'histoire de la SEP, afin de montrer comment les progrès du diagnostic et de la prise en charge de la maladie sont étroitement liés au développement de la science médicale. Les progrès de l'anatomie autorisés par l'ouverture des cadavres, la découverte du microscope, l'avènement de la théorie cellulaire se révèlent décisifs.
Selon T. Jock Murray, le premier cas clairement identifiable de sclérose en plaques est celui d'Auguste d'Este (1794-1848). Petit-fils illégitime de George III d'Angleterre et neveu de la reine Victoria, il a soigneusement consigné les différents troubles qui n'ont cessé de l'affecter dans son journal commencé en 1822. Il y note en 1827 : « A Florence, j'ai commencé à avoir la vue trouble. Aux environs du 6 novembre, la maladie s'est aggravée à tel point que je voyais tous les objets en double. Chaque œil avait sa propre vision. » Il recouvre une vue normale lorsque apparaissent de nouveaux symptômes. « Chaque jour, je sens que mes forces m'abandonnent progressivement (par infimes degrés)  : je l'ai clairement perçu lorsque, chaque jour, je montais et descendais les escaliers (...) Vers le 4 décembre, les forces de mes jambes m'ont quitté et par deux fois je me suis retrouvé par terre », explique-t-il. Tous les traitements de l'époque sont essayés, de la saignée au vomitif, en passant par le bain de mer. Lorsqu'il se plaint d'impuissance sexuelle, on lui introduit des bougies et un cathéter métallique dans l'urètre, où l'on tente un traitement par courant électrique. « Les détails du journal sont suffisamment clairs pour permettre de faire le diagnostic de SEP », affirme T. Jock Murray.

Un cas au XIVe siècle.
Auguste d'Este est certainement le premier cas documenté de SEP, et son journal figure en bonne place au Royal College of Physicians de Londres. Pourtant, certains historiens considèrent que les troubles dont souffraient sainte Lidwine de Schiedam aux Pays-Bas pourraient probablement caractériser une sclérose en plaques. Nous sommes au XIVe siècle. Lidwine est une jeune fille pleine de vie lorsque, en 1395, à 16 ans, elle « tombe malade ». Elle se rétablit progressivement. Le 2 février, elle se sent mieux. Ses amis l'encouragent à venir patiner sur un lac gelé. Ce jour-là, elle fait une chute, se fracture plusieurs côtes du côté droit et a du mal à s'en remettre. C'est le début d'une longue vie de souffrance. Pendant trente-huit ans, divers troubles l'affectent : douleur violente et lancinante des dents (probablement une névralgie du trijumeau), cécité de l'œil droit, photophobie de l'œil gauche, troubles moteurs du bras et de la jambe droits qui l'obligent à garder le lit. La maladie évolue lentement, avec des phases d'amélioration. Mais, à partir de 1407, elle a des visions surnaturelles et, lors de moments d'extase où elle revit la passion du Christ, elle semble aller mieux. Dans le contexte de l'époque, tout est réuni pour en faire une légende vivante. Sa mort en 1433, après trente-sept ans de martyr, ne fera que raviver le culte à sa mémoire. Elle sera canonisée en 1890 par le pape Léon XIII. Selon T. Jock Murray, trop d'éléments religieux ou mystiques brouillent le diagnostic, même s'il existe probablement une maladie neurologique sous-jacente.

Malgré tout, une grande œuvre.
Heinrich Heine (1797-1856), le célèbre poète et écrivain allemand, mort à Paris en 1856 de complications respiratoires, est sans doute, lui aussi, une victime de la SEP. Ses troubles commencent en 1832 à l'âge de 35 ans par une paralysie transitoire de deux doigts de la main gauche. Deux ans plus tard, il se plaint de troubles visuels et souffre d'une dépression. En 1837 apparaissent des troubles moteurs du bras gauche, avec, de nouveau, des troubles oculaires (cécité brutale de l'œil droit, puis du gauche). En 1848, il écrit dans une de ses lettres : « Ma maladie s'est terriblement aggravée. J'étais complètement paralysé pendant ces huit derniers jours, au point de devoir rester seulement couché sur le sofa ou dans mon lit. Mes jambes sont du coton et je me déplace comme un enfant. J'ai de terribles crampes. Ma main droite commence à s'engourdir et dieu seul sait si je serais capable de t'écrire encore. » Il le sera et continuera en dépit de ses troubles à construire une œuvre qui a inspiré bon nombre de musiciens, Schubert, Schumann, Liszt ou Berlioz. Pourtant, il souffrira pendant vingt-quatre ans de divers troubles sensitifs et moteurs, de névralgies, de dysarthrie, de paresthésies faciales, d'impuissance et d'incontinence. De nombreux diagnostics rétrospectifs ont été portés, sans que l'on puisse réellement trancher. T. Jock Murray conclut à une « SEP probable ».
Les progrès du diagnostic ont permis de mieux identifier les cas de SEP, mais il est étonnant de constater que peu de progrès thérapeutiques ont été effectués pendant plus d'un siècle « après que la maladie a été reconnue et nommée », souligne T.J. Murray. Il faudra attendre pour cela la fin du XXe siècle.

> Dr LYDIA ARCHIMEDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7859