DE NOTRE CORRESPONDANTE
À UN AN d'intervalle, dans deux hôpitaux américains situés respectivement sur les côtes ouest et est des États-Unis, des patientes sont mortes en salle d'attente des urgences sans que les personnels médicaux présents interviennent.
Le 19 juin dernier, Esmin Green, 49 ans, est décédée au Kings County Hospital, à New York, après avoir attendu en salle d'urgences psychiatriques pendant près d'une journée complète qu'un lit se libère pour elle. Son agonie a été capturée sur les vidéos de surveillance de la salle d'attente et rendue publique par une organisation américaine de défense des droits et libertés civiles, le New York Civil Liberties Union (NYCLU).
Selon les indications données par ce dernier, les vidéos montrent la patiente glissant de sa chaise le 19 juin, à 5 h 32 du matin, près de 24 heures après son admission, pour agitation et psychose. Dans sa chute, elle se retourne et tombe la tête la première, avant de se retrouver à plat ventre sur le dallage. Pendant une demi-heure, elle se contorsionne sans pouvoir se relever. Durant cette période, plusieurs employés la voient sans réagir. A 6 h 7, elle s'immobilise. Ce ne sera pas avant 6 h 38, plus d'une heure après sa chute, que le personnel se préoccupera de l'état de la patiente, qui est déjà morte.
Non seulement la malade n'a pas été traitée, mais le dossier de l'hôpital semble avoir été falsifié. «Contrairement à ce qu'ont enregistré sous quatre angles différents les caméras de surveillance, le dossier médical indique qu'à 6heures la patiente s'est levée pour utiliser les toilettes et que, à 6h20, elle était assise calmement sur sa chaise», relève le NYCLU dans son rapport. Depuis, l'hôpital a licencié six de ses employés et promis des réformes destinées à empêcher que cette situation ne puisse se reproduire.
Perforation intestinale.
Cet événement en rappelle un autre, qui s'était déroulé en mai 2007 au Martin Luther King Jr.-Harbor Hospital (MLKHH), dans le comté de Los Angeles. Là aussi, les caméras vidéo de surveillance avaient capturé les images d'une femme se tordant de douleurs – pendant 45 minutes – sur le sol de la salle d'attente des urgences sans que le personnel intervienne pour l'aider. Edith Rodriguez, 43 ans, finit par succomber à ce qui se révéla avoir été une perforation intestinale. Au cours de l'épisode, l'homme qui avait accompagné la malade ainsi qu'une autre patiente de la salle d'attente avaient chacun appelé sans résultat le 911, le numéro des secours d'urgence, pour tenter d'obtenir des soins pour elle. Arthur Caplan, chercheur au centre de bioéthique de l'université de Pennsylvanie, avait vu, à l'époque, les enregistrements vidéo du MLKHH, dont certains viennent d'être rendus publics anonymement. Réagissant à l'horreur de la situation, il avait fait cette déclaration rapportée par le « Los Angeles Times » : «Quel type de société sommes-nous si nous ne pouvons pas apporter de l'aide à une personne qui baigne dans son sang et son vomi sur le sol tandis que l'on passe la serpillière autour d'elle?»
Dans les deux cas, les hôpitaux concernés avaient reçu des plaintes antérieures à ces incidents dramatiques. L'hôpital de Los Angeles a été fermé en août 2007. L'hôpital de Kings County, dont le service de psychiatrie fait l'objet d'une poursuite judiciaire lancée il y a plus d'un an par le NYCLU et deux autres organisations, a accepté, après le décès d'Esmin Green, de mettre en oeuvre certaines des mesures qui avaient été réclamées dans le contexte de cette procédure. Mais cette décision n'a pas donné satisfaction à la directrice générale du NYCLU, Donna Lieberman : «Obtenir que la ville (de New York) fasse des changements dont la nécessité est bien connue depuis longtemps ne devrait pas dépendre de la mort d'une patiente», a-t-elle souligné dans un communiqué du 1er juillet.
L'échec du système de soins.
Arthur Caplan va plus loin. «Il n'y a pas d'excuse pour les personnels soignants et de sécurité qui n'ont pas réagi», dit-il au « Quotidien ». Leur comportement «est contraire à l'éthique, à la compassion humaine», ajoute-t-il. Mais, au-delà des personnes, ces événements reflètent aussi «un échec majeur du système de soins américain». «Il y a trop de personnes dans les salles d'urgences. Celles-ci débordent à cause des patients sans assurance ou pauvres qui n'ont pas d'autres lieux où recevoir des soins», explique le bioéthicien. Et il continue : «Je ne les excuse pas pour leur inaction, mais je comprends comment les personnels soignants et les administrateurs hospitaliers peuvent devenir indifférents.»
Le chercheur constate que les deux hôpitaux impliqués sont situés dans des quartiers très pauvres de deux grandes villes et ont affaire à des patients souvent affectés par des maladies mentales ou des toxicomanies. Il s'interroge sur la volonté politique de résoudre les problèmes posés. Il passe en revue la position des candidats à l'élection présidentielle ainsi que celle du président. «Obama semble s'intéresser un peu à la question; McCain…, je ne sais pas; le président Bush, ça ne l'intéresse pas du tout.» Et le Congrès américain ? «Il faudrait montrer les vidéos au Congrès, suggère-t-il. Elles témoignent de l'effondrement d'un système qui compte sur les services d'urgences pour les soins aux patients sans assurance médicale. Les vidéos sont très convaincantes, elles auront plus d'impact que des statistiques», conclut-il.
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