PEU IMPORTE si les événements sanglants de Pau sont, ou non, directement liés aux problèmes de la psychiatrie en France. Ils auront permis d'étaler au grand jour les difficultés d'un secteur qui peine à se faire entendre - notamment à cause du faible poids de la parole des patients et de l'isolement de la discipline. Le Pr JP Olié (chef de service hospitalo-universitaire de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, médecin-expert auprès de la Cour d'appel de Paris) exprime à cette occasion sa grande inquiétude pour la psychiatrie, mais aussi pour la société française tout entière.
Cure d'amaigrissement.
« Nous allons passer de 12 000 à 7 000 psychiatres », explique le Pr Olié. Bien conscient que le problème de la démographie n'est pas spécifique de sa discipline, il déplore néanmoins la « cure d'amaigrissement » des hôpitaux psychiatriques. Ainsi, « à Paris, on a 30 diplômés par an, mais on doit ouvrir les postes à plus du double ». A qui ? Des généralistes par exemple, parmi lesquels se trouvent « des gens de grande qualité » mais qui, pour ce domaine, ne disposent que d'une « formation au rabais ».
Idem pour les infirmiers : « Si les HP recrutaient l'ensemble de leurs postes budgétaires d'infirmiers, ils seraient en faillite », s'indigne J.-P. Olié, qui évoque les conversions en postes d'aides-soignants, lesquels sont parfois pourvus par des agents hospitaliers. Dans les CMP, l'accueil est réalisé, suivant le secteur où l'on se trouve, par un médecin ou un infirmier, sans que les patients en soient informés.
En ville, le professeur bat en brèche l'idée selon laquelle les psychiatres ne traiteraient que les troubles légers : « En réalité, la file active d'un psychiatre libéral, c'est 30 % de patients psychotiques et la file active d'un psychiatre hospitalier, c'est 30 % de patients non psychotiques », explique-t-il.
Le Pr Olié milite donc pour une meilleure répartition des charges. « Il est urgent qu'il y ait une réflexion entre psychiatres, psychologues, infirmiers, pour se répartir les tâches, dit-il. Les psychiatres ne peuvent plus continuer à s'éparpiller et à s'occuper de tout et n'importe quoi. » Il propose donc que ces spécialistes se recentrent, ce qui relève de leur « compétence irréductible » et soient répartis de manière homogène sur le territoire. Des psychothérapies pourraient être assurées par des psychologues formés, évalués et remboursés. Une consultation infirmière officielle pourrait être codifiée et, de leur côté, les « médecins généralistes ne sont pas a priori disqualifiés pour faire un suivi psychologique ». Enfin, le secteur social devrait lui aussi être intégré à cette réflexion. « La psychiatrie a un certain nombre de connaissances, de savoir-faire, mais elle a des limites », conclut le professeur.
Traitements à l'aveugle.
Concernant la prise en charge des patients, le Pr Olié déplore la faiblesse ou l'absence des études de morbidité : « Le ministère n'a pas envie de savoir un certain nombre de choses et, à l'évidence, il n'a pas le souci de faire le lien entre la morbidité et l'utilisation des soins », n'hésite-t-il pas à affirmer. Selon lui, le bon usage des soins, c'est d'abord l'étude de la pertinence des traitements (voir encadré), mais aussi l'accès aux nouvelles thérapies. « Il y a une situation qui m'exaspère : je ne sais pas si les Français ont conscience du retard avec lequel sont mis à disposition les traitements innovants par rapport à d'autres pays », s'indigne-t-il en citant l'imagerie médicale pour l'évaluation des démences, ou la mise à disposition de certains médicaments.
Parallèlement, le Pr Olié évoque les alternatives à l'hospitalisation, un « progrès de la psychiatrie », pour laquelle les gestionnaires ont fait l'erreur, selon lui, de penser qu'elle était moins chère. « Tout ce qui est alternative avec hébergement, alternative médico-sociale, quand le niveau de handicap ne peut plus régresser, ça n'existe pas », déplore-t-il. Conclusion : de nombreux patients sont envoyés en Belgique, où les places sont plus nombreuses (mais les normes différentes). De même, l'objectif de réduction des durées moyennes de séjour (DMS) conduit les psychiatres-experts, juges et partie, à envoyer en prison des patients qui devraient être traités. « Dans notre pays, aujourd'hui, on ne fait pas ce que faisaient les Romains », clame le Pr Olié, pour qui « responsabiliser c'est une chose, punir c'est une autre. » D'ailleurs, selon lui, « les jurés en sont bien conscients » et infligent des peines légères qui laissent rapidement sortir des patients dangereux pour eux ou pour les autres, pour qui « l'étape la plus essentielle » en termes de prise en charge a été passée... en prison.
« Il faut reposer le problème, ironise le Pr Olié. Si on pense que les schizophrènes sont mieux en prison ou sous les ponts, ou que la réduction des lits sans alternative à l'hospitalisation c'est bien, il faut le dire ! » Plus généralement, le spécialiste souhaite redonner ses lettres de noblesse à la psychiatrie, afin qu'elle « ne soit plus une discipline où l'on dit des choses avec approximation, mais qui se fonde sur des données de recherche ».
Une étude sur les antidépresseurs
Le Pr Olié a participé à une étude d'envergure inédite en France* sur la consommation des antidépresseurs depuis plus d'un an, chez une centaine de patients souffrant de troubles de l'humeur, en rémission au moment de l'inclusion et suivis dans cinq grands centres. L'étude fait ressortir de hauts niveaux de comorbidité (près des deux tiers ont un trouble de la personnalité associé). Elle montre que seule la consommation abusive de tranquillisants et d'alcool semble avoir un effet significatif sur la durée du traitement. Elle fait apparaître, enfin, que les anxiolytiques sont très largement coprescrits avec les antidépresseurs, en dépit des recommandations de bonne pratique clinique. Selon les auteurs, cette étude présente l'intérêt d'évaluer les pratiques de terrain et montre la nécessité d'établir des guide-lines pour la prescription.
* Long-term Antidepressant Treatment : a french multi-center collaborative survey, à paraître dans la revue « l'Encéphale ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature