La droite renaît de ses cendres

Une France imprévisible

Publié le 12/03/2007
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FRANÇOIS BAYROU s'est découvert, ces dernières semaines, une vocation de rassembleur du peuple français : il affirme qu'il gouvernera avec la droite et la gauche réunies, en désignant des ministres dans chacun des deux camps et en obtenant un vote consensuel à l'Assemblée.

Il demeure que M. Bayrou n'a jamais été un homme de gauche, que rien, dans son programme, ne démontre sa conversion au socialisme, ni même à la social-démocratie, et que même ses réformes, censées représenter son point fort, sont peut-être les moins audacieuses.

Le soutien de Simone Veil à Sarkozy.

En revanche, il est vrai qu'il ne cesse de plaider la cause de l'addition des compétences et qu'il dénonce un clivage droite-gauche qui, depuis au moins trente ans, oblige la France à vivre dans un climat de guerre civile. Campagne oblige, les idées de M. Bayrou – et surtout son ascension dans les enquêtes d'opinion – ont conduit les socialistes et les sarkozystes à tirer à boulets rouges sur l'ancien ministre des gouvernements Balladur et Juppé.

Le fait le plus marquant de la semaine dernière, c'est le soutien éclatant apporté par Simone Veil à Nicolas Sarkozy. Un soutien très politique, motivé par les vertus qu'elle reconnaît au candidat de l'UMP et par le jugement particulièrement cinglant qu'elle porte sur celui de l'UDF, laquelle serait «à l'UMP» : l'animosité que M. Bayrou inspire à Mme Veil serait dictée par des élections européennes de 1989 qu'elle aurait perdues par sa faute. Il se peut aussi, tout simplement, que les deux personnages ne s'aiment pas et que Mme Veil croie sincèrement aux capacités de M. Sarkozy. En tout cas, si tout le monde a le droit de changer, M. Bayrou plonge ses racines politiques dans la droite. Qu'aujourd'hui il veuille rallier à lui un maximum d'électeurs est compréhensible, mais il le fait tout de même par opportunisme.

En d'autres termes, les sondages nous indiquent (et ce n'est qu'une vague indication) que la droite rassemble une majorité absolue dès le premier tour. En témoigne le score affaibli de Ségolène Royal et, surtout, l'absence de forces vives à ses côtés. A l'extrême gauche et chez les Verts, aucun candidat ne dépasse 2,5 %. Cela signifie que, si Mme Royal passe le cap du premier tour, ce dont elle est, à l'heure actuelle, moins certaine que Nicolas Sarkozy, elle aura fait pratiquement le plein des voix possibles et pourrait être écrasée par « l'autre », qu'il s'agisse de M. Bayrou de M. Sarkozy.

Or, il y a six mois encore, qui aurait pensé à un tel retour de la droite, au pouvoir depuis cinq ans, et décomposée à la fois par les coups du sort, par ses graves erreurs de gestion et par le harcèlement incessant de la gauche et des syndicats de travailleurs ? Qui, au moment des émeutes dans les quartiers, ne pensait pas en son for intérieur que seule une gauche au pouvoir pouvait ramener le calme ? Qui, après des défaites électorales profondes et à répétition : européennes, régionales, cantonales, traité européen, pouvait imaginer que la droite avait la moindre chance de gagner la présidentielle de 2007 ?

D'aucuns pensent, surtout à gauche, que, en définitive, Ségolène Royal n'est pas le bon cheval. Ils ont tort. Le machisme, ce sont les hommes politiques qui en sont imprégnés, pas le peuple, ravi d'avoir une femme, et belle de surcroît, comme candidate. Elle a commis des gaffes ? Sarkozy aussi. Elle ne serait pas compétente ? Elle l'est tout à fait, énarque comme d'autres, députée, ministre, présidente du conseil général de Poitou-Charente. Non seulement la gauche est censée avoir le vent de l'histoire en poupe, mais en plus elle a fait le meilleur choix possible, quand on songe que Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius, et surtout Lionel Jospin, auraient fait des candidats sérieux, mais ô combien classiques.

Alors, qu'est-ce qui ne va pas à gauche ? D'abord, Mme Royal n'a pas su ajouter au changement de sexe le changement de doctrine : après avoir joué les ultra-indépendantes, elle a appelé à ses côtés tous les caciques du parti. Ensuite, Nicolas Sarkozy a accompli un tour de force : il a fait croire à la France entière qu'il incarne le changement. Or, non seulement, il a participé, et pas dans un rôle secondaire, à la gestion du pays pendant cinq ans, mais il n'a pas encore quitté ses fonctions de ministre de l'Intérieur. Qu'il le veuille ou non, il devrait être intimement identifié à la droite au pouvoir. C'est probablement son long et pesant différend avec Jacques Chirac, puis avec Dominique de Villepin, qui fait que les Français le perçoivent comme un homme qui à la fois appartient à la majorité et entend bouleverser les méthodes de la même majorité. Ce qui, d'ailleurs, n'est pas faux.

Et, en plus, quand un nouveau candidat émerge de la foule des prétendants, c'est encore un homme de droite. Sans compter les quelque 15 % et plus qui voteront Le Pen. Soixante pour cent des Français vont apporter leurs suffrages à la droite ou à l'extrême droite au premier tour. De sorte que toutes les manifestations, toutes les émeutes, toutes les grèves qui ont jalonné le quinquennat bientôt parvenu à son terme, n'apparaissent aujourd'hui que comme l'action d'une petite minorité. Car si le souffle du mécontentement devait précéder le raz-de-marée de la gauche, « l'insurrection électorale », comme dit José Bové, peu soucieux de l'antinomie entre les deux mots, eh bien, c'est raté. Les cohortes d'opposants, les régiments de mécontents, les divisions de la revendication, où sont-ils ? Que ne donnent-ils quelques voix de plus à Besancenot, à Bové, à Laguiller, à Voynet au premier tour et que ne s'apprêtent-ils à sacrer Ségolène au second ? Non, ils préfèrent Bayrou !

France surprenante, France imprévisible.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8124