COUCHEE DEPUIS près de deux siècles dans une pose voluptueuse, « la Grande Odalisque » est certainement le tableau le plus connu de Jean-Auguste Dominique Ingres. Depuis sa naissance (1814), son anatomie particulière a cependant alimenté les critiques autant que la beauté de l'œuvre a fasciné des générations d'amateurs d'art. Trois vertèbres en trop : c'est le diagnostic le plus souvent émis à propos de ce modèle hors du commun. Quant aux raisons qui ont conduit le peintre à cette audace, elles restent aujourd'hui encore débattues. Il est à l'évidence impossible que l'élève de David, premier grand prix de peinture en 1800, qui fut directeur de la Villa Medicis et président de l'Ecole des beaux-arts, ait pu commettre pareille erreur.
Délaissant pour une fois les plaintes de lombalgiques, Jean-Yves Maigne (rééducation fonctionnelle, Hôtel-Dieu, Paris) a voulu résoudre l'énigme et s'est attelé à l'examen de cette illustre patiente avec l'aide de Gilles Chatellier et d'Hélène Norlöff. Le résultat de leurs recherches va paraître très prochainement dans le « Journal of the Royal Society of Medicine ».
Un travail d'arpenteur.
Leur objectif a été d'appréhender de façon précise les mensurations rachidiennes et pelviennes de l'Odalisque. Pour ce faire, ils ont d'abord effectué ce travail de mesure chez 9 jeunes femmes « en chair et en os », ni scoliotiques ni obèses, en s'appuyant sur des repères anatomiques visibles : 7e vertèbre cervicale, fossettes des épines iliaques postéro-supérieures, partie inférieure des fesses. Les données chiffrées ont été exprimées en unités de hauteur de tête (mesurée du vertex au menton). Ces mesures ont été reportées sur l'Odalisque après correction de l'effet de perspective.
Les résultats montrent un allongement du dos de presque 15 cm (IC 95 % : 12,3 - 17,6 cm), soit l'équivalent de 5 vertèbres. Il se répartit entre rachis lombaire (+ 8 cm) et bassin (+ 6,8 cm).
Pour les auteurs, cet allongement excessif du rachis lombaire et du bassin a peut-être pour but de marquer avec force une séparation physique entre visage et pelvis. Cette emphase corporelle, cet accent anatomique ne seraient là que pour souligner le fossé existant entre un corps voluptueux dévolu au plaisir d'un homme - le sultan -, fonction symbolisée par l'hypertrophie pelvienne, et des pensées en rapport avec la condition d'une femme de harem : son visage est décrit par la critique comme énigmatique, distant, voire triste. A moins que, comme le pensent d'autres analystes, cette impassibilité du faciès ne soit là que pour arrêter le regard érotique du spectateur. Ou encore que le peintre ait simplement voulu reproduire la femme idéale, lui qui disait « N'étudions le beau qu'à genoux »...
Plusieurs expositions sont actuellement consacrées à Ingres :
- Ingres : dessins du Louvre. Musée du Louvre. Jusqu'au 14 juin. Tél. 01.40.20.53.17.
- Picasso Ingres. Musée national Picasso, Paris. Jusqu'au 21 juin. Tél. 01.42.71.25.21.
- Fantasme d'Ingres. Variations autour de la Grande Odalisque. Musée des Beaux-Arts de Cambrai. Du 26 juin au 31 octobre. Tél. 03.27.82.27.90.
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