L’expérimentation à l’unité aura été menée au forceps. Contre la volonté de la majorité des pharmaciens d’officine et des industriels à la conduire jusqu’à son terme. La ministre de la Santé a bénéficié toutefois d’un allié de poids, Isabelle Adenot, présidente du Conseil de l’ordre des pharmaciens, et pharmacienne à Paris. C’est d’ailleurs dans sa pharmacie qu’a été lancé le dispositif. Et l’événement a été largement couvert par les médias nationaux. Comment expliquer cet engagement ? « À l’évidence, la pharmacie du XXIe siècle sera individualisée et de plus en plus personnalisée. Les pharmaciens se sont déjà lancés dans le dossier pharmaceutique. Aller vers le consumérisme du médicament correspond à une régression. L’objectif est de consommer moins et de consommer mieux », expliquait-elle dans sa pharmacie (Paris XVIIIe) lors du lancement de l’expérimentation en présence de la ministre Marisol Touraine.
Elle n’est pas seule à défendre le projet. Alain Astier, membre de l’Académie nationale de pharmacie chef du pôle pharmacie des hôpitaux universitaires Henri-Mondor, interviewé par Décision Santé, juge la mesure intéressante. Il évoque les multiples résistances au changement des professionnels de santé, pharmaciens comme médecins. « Les pharmaciens sont pour le monopole. Mais ils ne sont pas forcément prêts à faire un peu plus. Ils n’ont pourtant pas le couteau sous la gorge : ils sont volontaires et rémunérés pour cette tâche. » Le Pr Astier rappelle leur obligation de service public, même dans le secteur libéral : ils « sont payés par la Sécurité sociale », ajoute-t-il.
L’autre argument avancé par les « pro-déconditionnement » est le gain financier. « À l’hôpital, j’ai des antirétroviraux qui valent 450 euros le comprimé. Si l’on ne pratiquait pas le déconditionnement, nous perdrions les trois autres comprimés de la boîte, soit près de 1 500 euros », martèle le Pr Astier.
Mais les opposants à l’expérimentation ne baissent pas la garde. Vent debout contre la mesure, les pharmaciens dressent une liste de critiques. Deux sondages publiés en mars et juin 2014 par Call Medi Call pour Le Quotidien du Pharmacien en sont une bonne illustration. Dans celui de juin, 80 % des pharmaciens ne souhaitaient pas se porter volontaires. Dans celui de mars, 69 % des sondés se déclaraient très défavorables. Et 46,2 % d’entre eux ne croyaient pas au succès du dispositif et donc à son extension à d’autres classes thérapeutiques. Quant aux représentants de l’UDGPO (Union des groupements de pharmaciens d’officine), lors de l’annonce du projet en 2013, ils ont carrément appelé l’ensemble des pharmaciens à refuser l’expérimentation. Quelles critiques y formulaient les sondés ? Selon eux, cette pratique sera très chronophage, sera difficile à mettre en œuvre au comptoir et n’apportera pas ou peu d’économies à la société.
Hostilité générale des pharmaciens
Mais au-delà des critiques matérielles, c’est l’enjeu même du projet qui est remis en cause. Renaud Nadjahi, président de l’URPS Île-de-France, explique que le déconditionnement ne fait pas partie de la culture du pharmacien : « Le pharmacien est le spécialiste du médicament et le garant de son bon usage. Ses compétences pourraient permettre d’améliorer la prévention, le dépistage ou encore l’observance, plutôt que de manier une paire de ciseaux. » Pis encore, certaines pharmacies rurales ont bien d’autres préoccupations. Celles-ci sont en grandes difficultés financières. Ce que rappelle l’Association de pharmacie rurale en septembre 2013 : « Comment envisager de vendre des médicaments à l’unité quand, dans le même temps, on demande au pharmacien, souvent seul au comptoir en milieu rural, d’être un premier recours, de mener des entretiens et de se rendre au lit du malade ? » Des craintes plus « fondamentales » comme la baisse du prix des médicaments (- 870 millions d’euros) et la refonte des prix des dispositifs médicaux (70 millions) préoccupent davantage ces pharmaciens menacés de mettre la clef sous la porte. On est loin là de l’agitation médiatique parisienne.
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