LES RECHERCHES sur la physiopathologie des maladies inflammatoires chroniques intestinales (Mici), notamment sur les facteurs génétiques et les facteurs environnementaux, se poursuivent. Selon des données épidémiologiques récentes, l’incidence des Mici augmente dans des pays où ces maladies étaient jusqu’alors assez rares. C’est notamment le cas en République tchè-que, en Hongrie et surtout au Japon, ce qui suggère fortement l’intervention de facteurs environnementaux, liés à l’occidentalisation du mode de vie. En Europe de l’Ouest, l’incidence des Mici continue de s’accroître chez l’enfant, constat qui va à l’encontre de l’hypothèse hygiéniste.
«En termes de facteurs génétiques, les Mici sont des pathologies complexes, avec l’intervention de plusieurs gènes, certains de susceptibilité, d’autres modulant l’expression de la maladie», rappelle le Pr Colombel.
Mutations génétiques.
Le gène de susceptibilité Card 15, découvert en 2001, est associé à un phénotype particulier de la maladie de Crohn : atteinte iléale avec tendance aux sténoses. Les mutations de ce gène pourraient entraîner un déficit de l’immunité innée, avec un possible déficit de la synthèse de défensines. Ces mutations touchent de 30 à 40 % des patients, mais avec une fréquence très variable d’une région à une autre. Elles sont rares en Europe du Nord alors que la maladie de Crohn y est fréquente. Dans d’autres pays, tels que le Japon, la Chine ou la Tunisie, ces mutations ne sont pas observées. Un travail récent ouvre de nouvelles pistes, avec la mise en évidence d’une réduction de la fonction des polynucléaires neutrophiles, non seulement au niveau intestinal, mais aussi au niveau cutané. La maladie de Crohn pourrait ainsi être liée à une altération plus générale des mécanismes de défense, responsable en particulier d’une mauvaise clairance bactérienne dans le tube digestif.
D’autres mutations génétiques sont à l’étude, en particulier sur le gène Octn, qui code pour la protéine de transport de la carnitine, ou le gène DLG5, avec des résultats discordants selon les équipes.
En ce qui concerne la piste microbienne, l’hypothèse d’une implication de Mycobacterium paratuberculosis n’est pas confortée par les résultats négatifs d’un vaste essai australien ayant testé une quadruple antibiothérapie.
Un rôle original des levures saprophytes, telle Candida albicans, a été suggéré ; cette levure est en effet un immunogène majeur des Asca, marqueur sérique de la maladie de Crohn (présent chez 50 à 60 % des patients).
Au niveau thérapeutique, les immunosuppresseurs occupent une place importante, avec l’azathioprine (ou son dérivé, la 6-mercaptopurine) en première ligne, et le méthotrexate en cas d’échec ou d’intolérance à l’azathioprine.
Cette dernière est en fait une prodrogue qui aboutit, dans un premier temps, à la formation de 6-mercaptopurine (plutôt prescrite par les Anglo-Saxons) et, après dégradation par un système pluri-enzymatique, aux métabolites actifs, dont les principaux sont les 6-thioguanines nucléotides (6-TGN). «L’intérêt du dosage des métabolites, dont le taux pourrait être corrélé à la réponse au traitement, fait débat dans la littérature», précise le Pr Bonaz.
L’azathioprine est le principal immunosuppresseur utilisé dans la maladie de Crohn corticodépendante ou corticorésistante, avec poussées fréquentes, ainsi qu’en postopératoire. Ce traitement est efficace chez 50 à 70 % des patients.
Une surveillance biologique et hématologique.
L’azathioprine est également efficace dans la rectocolite hémorragique corticodépendante ou corticorésistante, notamment pour prolonger la rémission induite par la ciclosporine. Les données récentes, en particulier celles issues de la cohorte Cesame, plaident pour la poursuite du traitement sur des durées supérieures à celles préconisées jusqu’alors (quatre ou cinq ans). Il est également possible d’interrompre le traitement après quatre ou cinq ans chez des patients répondeurs, puis de le reprendre en cas de rechute, avec des taux de réponse de l’ordre de 70 %.
Les effets secondaires du traitement peuvent être de type allergique, et donc non dose-dépendants, ou non allergique (hé- matologiques surtout), et alors dose-dépendants. La 6-mercaptopurine est parfois mieux tolérée que l’azathioprine, notamment au niveau digestif, mais expose au même risque de pancréatite.
La thioguanine, autre immunosuppresseur de la famille des thiopurines, avec l’azathioprine et la 6-mercaptopurine, pourrait être intéressante en cas de non-réponse à l’azathioprine, ou en cas de pancréatite sous azathioprine. La crainte d’effets indésirables hépatiques (hyperplasie nodulaire régénérative) limite toutefois son utilisation.
Le méthotrexate, efficace dans 50 % des cas dans la maladie de Crohn, est plutôt réservé aux situations d’échec de l’azathioprine ; sa prescription impose la même surveillance biologique (hématologique et hépatique) et surtout une contraception stricte (le risque de malformation foetale étant de plus de 50 %), ainsi qu’un traitement vitaminique B9. Des cas de pneumopathie d’hypersensibilité, nécessitant l’interruption du traitement, ont été décrits.
La classe des anti-TNF, dont le premier représentant est l’infliximab, et qui devrait bientôt s’enrichir de deux nouvelles molécules (l’adalimumab, entièrement humanisé et injectable en sous- cutanée ; le certolizumab pegol, presque entièrement humanisé, également utilisé par voie sous-cutanée et dont l’effet est plus prolongé), a transformé le traitement de la maladie de Crohn. Réservé actuellement aux formes les plus sévères, l’infliximab permet en effet de limiter le recours aux corticoides, voire de les remplacer dans certains cas, et peut être prescrit au long cours.
Démarche du « top-down ».
«Nous devrions disposer à court terme d’un arsenal thérapeutique élargi et de pouvoir mieux adapter le traitement à chaque patient», explique le Pr Lémann.
Par ailleurs, des données récentes suggèrent que la stratégie actuelle d’escalade thérapeutique pourrait être avantageusement remplacée par une démarche inverse, dite du « top-down ». En l’occurrence, recourir précocement aux traitements les plus puissants et réduire ensuite progressivement l’intensité du traitement. Les résultats préliminaires d’une étude menée en Belgique et aux Pays-Bas vont dans ce sens, mais doivent bien sûr être confirmés avant que cette stratégie ne puisse être adoptée.
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