LA RELAXE par la cour d'assises du Val-d'Oise le 9 avril, de Lydie Debaine, qui a reconnu le meurtre de sa fille unique, handicapée motrice cérébrale âgée de 26 ans, dont l'état de santé se dégradait, constitue une décision très rare dans ce genre d'affaires. Au cours des vingt dernières années, la justice, face à des faits similaires, a généralement prononcé des condamnations avec sursis. Toutefois, en 1994, la haute juridiction pénale du Finistère a relaxé un père auteur de coups de poignard mortels portés à son fils handicapé mental.
Lydie Debaine, 66 ans, avait donné plusieurs cachets d'anxiolytiques à Anne-Marie avant de la plonger dans une baignoire pour la noyer, le 14 mai 2005 à Groslay (Val-d'Oise). Invalide à 90 %, cinq ans d'âge mental, la jeune fille souffrait depuis plusieurs années de crises d'épilepsie, de violents maux de tête et de vomissements. «Elle passait des jours et des jours sans dormir», témoigne la mère.
« Une condamnation s'imposait ».
«Il ne fallait pas l'acquitter, dit au “Quotidien” le Pr Marcel Rufo. Ce par respect pour elle, et sa fille, d'ailleurs. Elle ne peut pas guérir d'un tel geste qu'elle qualifie d'amour. C'est impossible! Les parents ne sont pas faits pour donner la mort. Symboliquement, une condamnation s'imposait. Lydie Debaine était condamnable. La relaxe apparaît comme une décision irrespectueuse. Je ne comprends pas les jurés qui ont cédé à la compassion. Tout le débat sur la fin de vie resurgit.» Et de renvoyer à Jean Leonetti.
«J'ai abandonné la notion pédagogique du psychiatre dans la compréhension du malheur, pour passer à une stratégie d'accompagnement», confesse Marcel Rufo dans un essai coécrit avec Luc Leprêtre, tétraplégique, intitulé « Regards croisés sur le handicap » (éditions Anne Carrière, avril 2008). «L'enfant présentant un handicap (...) n'est pas dupe du mandat qu'il ne remplit pas, ajoute-t-il : “Je ne suis pas le fils ou la fille dont vous rêviez, je l'ai bien compris”.» Quoi qu'il en soit, le parquet de Pontoise ne fait pas appel. «C'est une reconnaissance de ce qui a provoqué mon geste dans un acte d'amour, pense la mère infanticide. L'acquittement va me libérer, même si ça n'efface pas tout. Je ne regrette pas, mais ma fille me manque.» L'avocat général avait requis, lui, une «peine de principe» de trois ans de prison avec sursis. «Elle a tué sa fille avec préméditation», soulignait Charles Modat, représentant du ministère public. Me Cathy Richard, avocate de la défense, se déclare «heureuse pour Lydie et soulagée pour Anne-Marie. Leur histoire se termine au moins justement».
L'absence de soutien de la société.
Le Dr Jérôme Colonna, administrateur de l'Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), responsable pour la région PACA, peut, en ce qui le concerne, porter un regard bienveillant sur «une situation de grande détresse conduisant à une issue fatale». «Mais, pondère ce père d'une fille lourdement polyhandicapée qui a vécu pendant 33 ans avec des sondes alimentaires, on doit s'interroger alors sur l'absence de soutien apporté par la société à une mère qui serait restée sans aide, isolée et dans le dénuement.»
«Sans approuver le jury populaire de Pontoise, qui est souverain,je le comprends», dit le Dr Olivier Jardé (Nouveau Centre), l'un des quatre membres du groupe de travail de l'Assemblée chargé d'évaluer d'ici à l'automne la loi Leonetti sur la fin de vie du 22 avril 2005. «Pour autant, il ne faut ni légaliser l'euthanasie ni étouffer tous les handicapés», tient à faire remarquer au « Quotidien » le parlementaire de la Somme, agrégé en chirurgie et en droit à la santé.
Ouvrir le dialogue.
«La situation de la jeune victime –une fin de vie qui allait se prolonger démesurément– semble avoir été de nature à justifier le meurtre, commente, pour “le Quotidien”, le Dr André Deseur, délégué général à la communication du Conseil national de l'Ordre. Quant à la relaxe, qui intervient à un moment où les textes légaux en la matière ne sont pas appliqués, elle montre simplement une évolution sociétale en cours. D'où la nécessité de réfléchir sur le dispositif légal en place, ce à quoi s'emploie l'instance ordinale», rapporte le conseiller national, tout en déplorant que l'Ordre ne fasse pas partie du groupe d'évaluation de la loi Leonetti, même s'il communique avec ses quatre membres (voir encadré). «Nous devons accepter l'échange de dialogue avec les autres, et nous faire entendre d'eux. Je souhaiterais, personnellement, en tant que généraliste de Seine-et-Marne, que nous émettions sur le sujet, à l'Ordre, des opinions en fonction de l'âge, de la spécialité et du mode d'exercice de chaque praticien.»
Simplifier la procédure pour les meurtres compassionnels.
«Par rapport à Vincent Imbert, l'affaire Debaine constitue une étape supplémentaire. Là, on donne la mort sans qu'elle soit demandée, dit au “Quotidien” le Dr Jean Leonetti. C'est un drame bouleversant, évocateur d'épuisement, de souffrance, de portes qui se ferment, d'aide insuffisante. Un acte désespéré d'une mère à bout de ressources. Nous nous montrons indulgents, mais il est impossible d'approuver l'acte, ni même l'idée. Sur le plan juridique et judiciaire, nous pouvons difficilement imaginer de bâtir une loi permettant d'éliminer une personne handicapée sans que celle-ci appelle la mort. En revanche, nous travaillons sur un allégement de la procédure judiciaire pour la mort par compassion, afin d'éviter le passage aux assises. La voie d'ailleurs existe –et, en fait, il s'agit d'en faciliter l'accès–, puisque, au vu de l'instruction, le juge a les moyens de décider d'arrêter les poursuites. Ce fut le cas avec Marie Humbert, la mère de Vincent, rappelle le cancérologue député-maire UMP d'Antibes (Alpes-Maritimes). Le magistrat, constatant les circonstances factuelles, compassionnelles et exceptionnelles d'un meurtre, permettrait éventuellement de faire l'“économie” d'un procès.»
La loi Leonetti à l'évaluation
Entouré de trois députés, le Dr Olivier Jardé, Gaëtan Gorce (PS, Bouches-du-Rhône), psychologue, et Michel Vaxès (PC, Nièvre), Jean Leonetti passe au peigne fin de l'évaluation sa loi sur la fin de vie. «Nous partons de l'idée fondamentale qu'elle est trop récente pour être remplacée, écartée ou renversée. Aussi, nous nous employons à comprendre pourquoi elle n'est pas bien appliquée, afin de remédier aux insuffisances. En fait, puisque ça marche dans 95 à 99% des cas, nous rapportent les médecins, nous nous penchons sur les 1 à 5% qui laissent à désirer, sachant que nous nous intéressons aux malades graves et incurables en situation avancée ou terminale, à l'exclusion du suicide assisté.»
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