Valéry Giscard d'Estaing peut être satisfait, et même content de lui. Chargé d'élaborer une Convention européenne, il a enfin produit un texte important qui va permettre de gérer de façon ordonnée une Union appelée incessamment à comprendre vingt-cinq membres.
Les travaux des 105 « conventionnels » ont duré seize mois, puisqu'ils ont commencé en février 2002. Le texte qu'ils ont adopté à Bruxelles, à la fin de la semaine dernière, prévoit la création d'un poste de président européen et d'un poste de ministre européen des Affaires étrangères, une commission resserrée à 15 membres et un scrutin simplifié pour les décisions prises à la majorité qualifiée en Conseil des ministres.
L'art de Giscard
Il fallait la compétence, la finesse, la subtilité, la diplomatie de l'ancien président de la République pour parvenir à un consensus qui réunit plus de cent personnes venues de tous les horizons européens. Le document qui sera présenté au sommet de l'Union à Athènes et doit être avalisé par les institutions européennes (gouvernements, Parlement et commission) a été accueilli par des applaudissements nombreux et de rares critiques. D'aucuns, comme les Allemands, y voient une étape « historique » de la construction européenne. Tous félicitent Giscard pour son travail.
On ne souhaite nullement gâcher cette fête démocratique et unitaire. Il demeure que la marche de l'Union dépend aujourd'hui davantage de la volonté de ses dirigeants que de celle des peuples. L'élargissement des Quinze à dix autres Etats peut être considérée comme prématuré dans la mesure où les structures de l'UE n'ont pas, entre-temps, été consolidées. Elles demeurent fragiles, à cause de la crise économique qui bouscule les critères de Maastricht, à cause du rôle spécifique de la Grande-Bretagne dont la vision européenne est diamétralement opposée à celle du continent, à cause de la politique agricole commune qui, certes, a réduit ses aides massives, mais ne sera pas démantelée de sitôt, à cause des différences de niveau de vie entre les Quinze et les Dix qui arrivent, à cause des craintes que les peuples des Dix expriment déjà.
Parmi les Dix, quelques-uns, comme on sait, sont à la fois des Européens et des pro-Américains enthousiastes, comme la Pologne et les Etats baltes ; quelques-uns sont partagés sur la nécessité de leur adhésion. Le sang neuf apporté à la « vieille Europe », comme l'appelle Donald Rumsfeld, est donc à la fois remède et poison. D'autant que, en dépit des mesures préventives que la Convention a prises contre la cacophonie qui risque de provenir d'un débat entre 25 nations, les complications de l'élargissement sont infiniment plus perceptibles que ses avantages.
Sur le papier, il semble utile et légitime de créer un deuxième pôle mondial. Mais ses probables querelles internes le fragiliseront. Non seulement la multiplicité des opinions souveraines va créer de la confusion, mais, parmi les Quinze, l'unité n'est pas acquise.
Tony Blair ne souhaite pas que l'Europe serve de contrepoids à l'hyperpuissance américaine. Il rêve d'une immense agora atlantique qui partagerait des valeurs communes. Jacques Chirac a pu croire que l'extension de l'Europe vers l'Est désaméricaniserait l'Europe. Le premier test de l'Union des 25 (la guerre en Irak) a créé un fossé entre pro-Américains et anti-Américains. Les Polonais, qui ont accueilli récemment George Bush, lui ont fait un triomphe. C'est le peuple le plus américanophile du monde. M. Blair peut donc trouver au sein de l'Europe élargie des partenaires qui renforceront ses propres thèses.
Non seulement nous accueillons au sein de l'Union des pays qui ont encore beaucoup à faire pour se hisser à notre niveau de vie, mais l'Europe de 2004 paraîtra bien pâlichonne par rapport aux Etats-Unis. Au cours des vingt dernières années, la croissance des Quinze a été, en gros, de 1,5 % par an, alors que celle des Etats-Unis était au moins d'un point supérieure. Pendant les trente années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, l'Europe se plaçait sur une courbe qui la rapprochait de la prospérité américaine. Depuis le choc pétrolier des années soixante-dix, ce sont les Etats-Unis qui ont progressé plus vite que l'Europe. Le résultat de ce phénomène se retrouve aux niveaux du PIB (produit intérieur brut) et du produit per capita. Dans tous les domaines, technologie, recherche, défense, capitalisation, productivité, mobilité de l'emploi, souplesse des structures, dynamisme économique, les Etats-Unis sont en avance sur la « vieille » Europe et a fortiori sur la jeune. Et même si la réunion de 25 peuples et de 25 PIB fait de l'Union un groupe démographiquement et économiquement plus fort que les Etats-Unis, elle est plus faible à la fois en revenu par tête et en moyens civils et militaires.
Le déclin de l'empire
L'égalité entre les deux « blocs » n'est donc pas pour demain et la guerre en Irak, fondée sur une imposture apparente, montre que la volonté des Etats-Unis s'exerce partout, mais pas celle de l'Union.
Bien entendu, on peut imaginer à terme un déclin de l'empire américain, mais de même que l'euro n'est fort que parce que le dollar baisse, de même l'empire européen ne devrait alors sa puissance qu'à l'affaiblissement (culturel, social, politique) des Etats-Unis. On ne fait pas un projet dont le succès ne résulterait que de l'échec de l'autre.
Ce sera infiniment plus difficile de retrouver un rythme de croissance plus soutenu, de contribuer au développement des nouveaux venus, de trouver de larges terrains d'entente capables d'accélérer la construction européenne. M. Giscard d'Estaing a bien travaillé, mais pour faire une Europe politique prospère, dotée d'une armée à l'échelle des 25 et capable de faire régner l'ordre sur le continent et ailleurs, il faudra beaucoup de temps.
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