PRATIQUE
Ce patient de 66 ans, retraité, est adressé pour un eczéma des mains et des pieds évoluant depuis trois ans, en vue de tests épicutanés.
Dans les antécédents personnels et familiaux, on ne retrouve aucune atopie, seulement un diabète chez un frère.
En fait, depuis huit-dix ans, le patient signale des épisodes de prurit des faces latérales des pieds survenant surtout l'été, qu'il a traités régulièrement par des applications d'argile avec succès. Il y a deux ans, les lésions plus récentes ont débuté l'hiver par une poussée de la main gauche. Il travaillait alors encore comme coupeur-patronnier et est droitier. Les textiles étaient manipulés avec les deux mains et les ciseaux avec la main droite.
Après différents traitements corticoïdes locaux, n'entraînant qu'une amélioration transitoire suivie de récidives multiples, le patient a fini par reprendre ses traitements à base d'argile et d'huile d'amande douce. Les lésions des pieds survenaient surtout l'été. Un mois avant la consultation en décembre, les lésions des pieds sont apparues sous Cortancyl 40 mg/jour, prescrit pour un mois pour une paralysie faciale a frigore. Le patient n'avait appliqué aucun topique depuis plusieurs mois.
Progressivement, les lésions se sont aggravées et le patient a été hospitalisé dans l'hypothèse d'une vascularite devant l'aspect violacé des lésions. Ce diagnostic a été récusé pour celui d'eczéma, et le patient est ressorti sous corticoïdes locaux.
L'examen après deux semaines de corticoïdes locaux retrouve un érythème rosé et sec de la paume gauche avec surtout un aspect très inhabituel à la main d' intertrigo macéré du 4e espace interdigital gauche, ainsi qu'une onychodystrophie des IVe et Ve doigts de la main gauche. Au niveau des pieds, il persiste un oedème rouge violacé des faces dorsales et plantaires, ainsi qu'un intertrigo macéré de presque tous les espaces interorteils et une onychodystrophie des IIIe et IVe orteils droits. L'ensemble de ces lésions n'évoque pas un eczéma mais une mycose.
Le traitement corticoïde local est interrompu. Après prélèvement mycologique des ongles et des espaces interorteils, un traitement par terbinafine 1 cp/j est prescrit pendant deux mois, en association aux antifongiques locaux en crème, vernis et spray poudre à utiliser respectivement sur la peau, les ongles et dans les chaussures. Une recherche de diabète est effectuée et se révèle positive. Un suivi endocrinologique est alors débuté.
L'histoire est assez typique d'un « syndrome une main-deux pieds » rencontré fréquemment dans les mycoses. L'aspect clinique d'intertrigo et d'hyperkératose unguéale oriente d'emblée vers une mycose et contre un eczéma. En effet, si mycose et eczéma peuvent donner tous les deux des lésions sèches fissuraires plus ou moins vésiculeuses des paumes et des plantes, l'atteinte des espaces interdigitaux des pieds est quasiment spécifique de la mycose. L'anamnèse va également dans ce sens : l'antécédent familial de diabète et la notion d'une corticothérapie générale récente constituent deux facteurs favorisants et aggravants de la mycose. De plus, « l'eczéma » aurait dû au contraire s'améliorer et même disparaître sous corticothérapie générale.
Le terrain diabétique plus ou moins latent a probablement été révélé par la corticothérapie, et le diabète pourra éventuellement disparaître à distance avec un régime.
Le patient a été revu deux mois plus tard nettement amélioré : les prélèvements avaient tous été positifs à l'examen direct (présence de filaments) et la culture avait identifié un Trichophyton rubrum. Les épisodes anciens des poussées estivales correspondent à la période habituelle des poussées des mycoses avec la transpiration et la macération propices au développement du champignon. L'aggravation sous corticoïdes locaux prescrits à plusieurs reprises est elle aussi très classique.
de la corticothérapie
Au total, il faut retenir le rôle aggravant de la corticothérapie sur un problème infectieux. Un « eczéma » s'aggravant sous corticoïdes locaux (ou a fortiori généraux) doit d'emblée faire évoquer une mycose. Cela peut être un test thérapeutique : s'il s'agit d'une manifestation allergique, elle sera améliorée par les corticoïdes locaux ; si les lésions s'aggravent, il s'agit d'une infection et il devient urgent d'arrêter la corticothérapie, qu'elle soit locale ou générale afin d'éviter la diffusion de l'infection.
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