Multiples papules
L'examen cutané et muqueux note de multiples papules non prurigineuses de 5 mm de diamètre, prenant parfois une teinte cuivrée, disséminées sur l'ensemble du tégument (figures 1, 2), y compris le cuir chevelu. Certaines lésions sont excoriées, d'autres sont soulignées par une collerette desquamative périphérique (figures 3, 4). Il existe une papule excoriée de la verge (figure 3), des papules palmoplantaires (figures 5, 6). Pas d'atteinte de la muqueuse buccale.
L'examen neurologique objectif, en dehors des céphalées, est normal, en particulier sans syndrome méningé ni atteinte des paires crâniennes.
Un oedème papillaire bilatéral est mis en évidence lors de l'examen ophtalmologique.
Le reste de l'examen clinique est normal.
Le patient précise avoir des rapports sexuels homosexuels non protégés.
Le diagnostic
Le diagnostic de syphilis secondaire à type de syphilides papuleuses est immédiatement confirmé par la mise en évidence du tréponème pâle à partir du prélèvement d'une papule excoriée examiné au microscope à fond noir. La sérologie syphilitique reviendra positive avec un FTA à 1/1 600, un TPHA à 1/5 120 et un VDRL à 32.
Compte tenu de la présence de céphalées, de l'oedème papillaire et de la séropositivité VIH, une ponction lombaire est réalisée retrouvant un liquide eau de roche, une glycorachie normale, une hyperprotéinorachie à 0,77 g/l, 20 éléments/mm3 dont 95 % de leucocytes témoignant d'une atteinte méningée. L'examen direct et la culture bactériologique et mycologique du LCR sont négatifs, ainsi que la PCR virus herpès , CMV et VZV. Le FTA est positif dans le LCR et le VDRL est négatif.
Le bilan biologique retrouve une charge virale VIH à 97 400 copies/ml, soit 4,99 log, une lymphopénie CD4 à 128/mm3 (11 %) et une cytolyse hépatique à trois fois la normale. Les sérologies de l'hépatite A, B et C sont négatives. La sérologie Toxoplasma gondii est positive, ainsi que les sérologies EBV et CMV en IgG (négatives en IgM).
La tomodensitométrie cérébrale est normale, ainsi que la radiographie du thorax et l'échographie abdominale.
La recherche systématique d'autres infections sexuellement transmissibles est négative (HSV, Haemophilus ducreyi, Chlamydia, Gonorrhoea, hépatite B).
Compte tenu du diagnostic de neurosyphilis (LCR pathologique, FTA positif dans le LCR et élimination des autres causes d'atteinte méningée chez un patient séropositif pour le VIH), un traitement par pénicilline G 20 millions d'unités I.V. pendant quatorze jours a été réalisé, associé à de la prednisone pendant les trois premiers jours pour prévenir la réaction d'Herxheimer. L'évolution initiale s'est faite vers une régression des lésions cutanées, une disparition des céphalées et une normalisation du bilan hépatique. La disparition des lésions cutanées a été obtenue en quinze jours et le titre du VDRL a diminué d'un facteur 4 à trois mois.
Le retour de la syphilis
Les données épidémiologiques montrent une augmentation de la prévalence de la syphilis dans le monde depuis les années 2000. En France, 80 % des patients ayant une syphilis précoce sont des homosexuels de sexe masculin, dont 50 % sont séropositifs pour le VIH. Douze pour cent des cas sont des hommes hétérosexuels dont 16 % sont séropositifs pour le VIH. Le nombre de cas féminins est faible, mais semble en augmentation.
Le diagnostic de syphilis repose sur :
– la mise en évidence du tréponème pâle par la microscopie à fond noir nécessitant une grande expertise, sujette à de nombreux faux négatifs et à de faux positifs dans la cavité buccale. Les autres techniques sont réservées à des laboratoires spécialisés ou à la recherche (immunofluorescence directe sur lame, amplification moléculaire, immuno- histochimie sur biopsie) ;
– la sérologie des tréponématoses : le FTA-abs se positive vers J5-J7 (J0 : début du chancre), le TPHA vers J7-J10, le VDRL vers J10-J15. Au stade secondaire, toutes les sérologies sont positives, de rares cas de syphilis secondaires à sérologie négative ont été rapportés chez des patients VIH+.
D'autres examens peuvent se justifier, compte tenu de la possibilité d'une atteinte multiviscérale au cours de la syphilis secondaire, guidés par la clinique (bilan hépatique, radiographies osseuses, examen ophtalmologique, ponction lombaire). Une altération du bilan hépatique est possible au cours de la syphilis, comme chez ce patient qui ne présentait pas d'autres causes identifiées de cytolyse hépatique (absence d'ingestion de toxiques et de médicaments, sérologies des hépatites négatives, sérologies EBV et CMV positives en IgG et négatives en IgM, échographie abdominale normale) et dont le bilan s'est normalisé sous traitement.
La recherche d'autres infections sexuellement transmissibles et la réalisation d'une sérologie VIH (si le statut sérologique est inconnu) sont systématiques.
La ponction lombaire n'est pas systématique : elle doit être réalisée en cas d'anomalie neurologique et/ou ophtalmologique, en cas d'échec thérapeutique clinique ou sérologique, en cas de syphilis tertiaire active, en cas d'allergie à la pénicilline dans le cadre d'une syphilis tertiaire (les tétracyclines n'étant pas recommandées en cas de neurosyphilis en raison de leur mauvaise diffusion dans le LCR) et pour la plupart des auteurs en cas de séropositivité VIH avec une syphilis latente tardive ou de durée inconnue, la neurosyphilis pouvant être plus fréquente, progresser plus rapidement et se présenter de façon atypique dans ce contexte.
L'interprétation de la ponction lombaire est complexe, en particulier dans le cadre de la séropositivité HIV, et la confrontation entre la clinique et l'analyse du LCR guidera la mise sous pénicilline I.V. L'existence d'une hyperprotéinorachie et d'une hypercytose à formule variable évoque une neurosyphilis, mais ces anomalies sont fréquentes chez les patients VIH+ en dehors de toute syphilis. La positivité du VDRL dans le LCR permet d'affirmer le diagnostic de neurosyphilis, bien que sa sensibilité soit faible (30 % de faux négatifs). La positivité du FTA-IgM dans le LCR a également une bonne spécificité et une mauvaise sensibilité.
Traitement
Le traitement repose sur la pénicilline et les schémas thérapeutiques sont identiques que le(a) patient(e) soit ou non séropositif(ve) pour le VIH :
–syphilis précoce: une injection I.M. de benzathine pénicilline G de 2,4 MU. En cas d'allergie à la pénicilline : doxycycline 100 mg x 2/j peros pendant 14 jours ; cette recommandation n'étant pas validée chez les patients VIH+ et ce traitement étant contre-indiqué chez la femme enceinte, une désensibilisation à la pénicilline est nécessaire ;
–syphilis latente tardive et syphilis tertiaire non neurologique: 1 injection I.M. par semaine pendant trois semaines de benzathine pénicilline G ;
–neurosyphilis: pénicilline G 20 MU/j I.V. pendant dix à quatorze jours sans alternative thérapeutique et imposant donc une désensibilisation en cas d'allergie à la pénicilline ;
–la prévention de la réaction d'Herxheimer doit être réalisée chez la femme enceinte, chez l'enfant et le sujet âgé, en cas de syphilis tertiaire non neurologique et de neurosyphilis (paracétamol, voire prednisone).
Surveillance
La surveillance est clinique et sérologique (division du titre du VDRL par 4 en trois à six mois et négativation de celui-ci en un an en cas de syphilis primaire, en deux ans en cas de syphilis secondaire, négativation rare en cas de syphilis tertiaire). Il n'existe pas de consensus, en cas de neurosyphilis, sur la fréquence des PL après traitement : il est proposé une PL tous les six mois pendant deux ans ou jusqu'à normalisation du LCR.
Partenaires
Les partenaires doivent être examinés, bénéficier d'une sérologie TPHA-VDRL (à répéter 3 mois plus tard si la sérologie initiale est négative) et traités si le contact a eu lieu moins de six semaines avant et/ou si la sérologie TPHA-VDRL est positive.
Références
Syphilis précoce et syphilis tardive : M. Janier, N. Dupin, P. Gerhardt et al.
« Ann Dermatol Venereol », 2006 ; 133.
Syphilis and HIV co-infection : G. Karp, F. Schlaeffer, A. Jotkowitz et coll. « European Journal of Internal Medicine », 2008.
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