Traditions
La légende grecque raconte que le jeune dieu Hermès blessa mortellement par mégarde son ami Crocos dont le sang se répandit sur le sol et le féconda. De petites fleurs aux couleurs éclatantes et aux arômes prononcés y poussèrent. On dit aussi que la nymphe Smilax, éprise de Crocos, fut à son tour transformée en fleur de safran, ce qui conféra à cette épice des vertus aphrodisiaques.
Depuis l'Antiquité, le safran est utilisé pour ses propriétés médicinales, gustatives et tinctoriales. Dans le papyrus d'Eber, daté de 1550 avant J.-C., il est fait mention d'un remède exceptionnel, le kuphi, mélange de safran, d'autres aromates et de miel. Appelé « sang d'aigle », le safran possédait un hiéroglyphe particulier et entrait dans la composition d'une trentaine de préparations concoctées par les castes sacerdotales. Cléopâtre, paraît-il, l'utilisait pour donner un bel éclat à sa peau. On le cultivait habituellement en Mésopotamie, toujours pour des usages spécifiques : teinture, aromate-condiment, médicament aphrodisiaque. Zeus dormait sur un matelas de safran !
C'est cette vertu, autant que sa couleur, que les Romains appréciaient. On en saupoudrait le lit des jeunes mariés de la haute société. Les Sybarites prétendaient retarder l'ivresse par une infusion de safran, bue avant de se livrer aux plaisirs de Bacchus.
Apicius, célèbre gastronome, disait du safran : « Qu'il est bon pour la digestion, pour faire aller le ventre et qu'il empêche toutes les maladies, la peste et tous les refroidissements »... En quelque sorte, une véritable panacée capable de guérir tous les maux.
Une couleur de Méditerranée.
Le crocus sativus, qui donne le safran, ne pousse pas en Egypte, du moins pas naturellement. Il provient de l'ouest de l'Asie, de la Palestine au Cachemire. On dit que le vent, soufflant de cet Orient d'où vient la lumière, le dissémina jusqu'en Italie où on le trouve encore à l'état sauvage. Les fresques du palais de Cnossos (Crète) nous montrent un cueilleur de safran absorbé par sa tâche depuis quatre mille ans.
Ce sont les Arabes qui ont ramené le safran d'Asie au Moyen-Orient et qui l'introduisirent en Espagne, où il est cultivé dans les provinces d'Alicante et de Valence. L'Espagne ne cessera pas d'occuper la première place des productions. Au fil des échanges commerciaux avec l'Europe du Nord, les premiers bulbes furent apportés en France et en Angleterre, où il donna son nom à la ville de Saffron Walden.
Le pain au safran que l'on retrouve un peu partout autour de la Méditerranée, telle la tresse libanaise, date des Romains - lesquels utilisaient certainement le carthame, beaucoup moins précieux. C'était un véritable cadeau, comme le pain d'anis, offert par les boulangers provençaux à leurs meilleurs clients pour Noël et Pâques. En Provence, un plat fait de tripes, de gras-double et de fressure au safran était servi aux fêtes carillonnées. Puis le safran remonta la vallée du Rhône en passant par le Viennois, traversa le Loiret, et fit merveille en Gâtinais.
Au XVIIIe siècle, le safran commence à perdre de son prestige auprès des cuisiniers français, même s'il est toujours resté présent dans certaines recettes provençales : bouillabaisse, soupe de poisson ou risotto. Mais, aujourd'hui, l'ouverture des goûts pour les cuisines du monde remet cette épice précieuse à l'honneur. Le safran reste la signature des paellas espagnoles, des chiches-kebabs orientaux, des sauces au yaourt iraniennes ou indiennes et, surtout, des œufs frits du Moyen-Orient. En Inde, il colore et parfume le riz, notamment dans le zarda pullao (plat que les Indiens musulmans préparent à la fin du jeûne du ramadan). Il entre également dans la préparation des glaces et du byriani (sauce épaisse à base de safran, de cardamome, de clous de girofle, de cannelle, de noix de muscade...).
Au Maroc, le safran (Zaâfarane en arabe) ajoute son or flamboyant et la subtilité de son arôme aux m'hammers (rôtis), aux tajines de viande, de poulet et de poisson. Il peut également entrer dans la composition de gâteaux, de coktails de fruits ou autres douceurs. Il parfume divinement le thé.
La fleur du crocus sativus.
Comme l'indique la légende, le safran provient effectivement du crocus ; mais pas n'importe lequel. Parmi les quatre-vingts espèces de crocus, seul le crocus sativus donne le safran.
Le crocus sativus fleurit à l'automne et développe son feuillage de la floraison à la fin du printemps. La plante est en dormance tout l'été ; elle s'accommode donc d'un climat sec et d'une faible pluviométrie. La fleur pousse hors du sol pendant la nuit. Le matin, le soleil fait éclore les corolles mauves. Dans la douceur du matin automnal, les pétales s'ouvrent et libèrent trois étamines recouvertes de pollen jaune vif et de trois longs stigmates rouge sang. Ce sont ces stigmates de couleur et d'arôme caractéristiques qui donnent le safran. La fleur stérile ne donne pas de fruit. La multiplication de l'espèce se fait par reproduction végétative, ou division du bulbe. Aussi le crocus n'existe-t-il pas à l'état sauvage.
Les stigmates doivent être cueillis quotidiennement avant le lever du soleil et l'émondage doit être réalisé rapidement afin d'éviter l'altération du safran. Il faut cueillir cent cinquante mille fleurs pour obtenir cinq kilos de stigmates frais, qui donneront un kilo de safran sec ! Cela explique la chèreté du safran. Récolter et produire 1 g de safran demande trois ou quatre heures de travail.
Le safran contient plus de 35 composés volatils. Le principal est le safranal, qui se décompose lors du séchage et libère la picrocrocine. Le safran ne se conserve pas éternellement. Chaque année, il perd 40 % de sa picrocrocine ; aussi faut-il acheter son safran tous les ans. Il faut le conserver dans un bocal en verre hermétique et le couvrir d'aluminium pour l'isoler de l'air et de la lumière.
« Histoire naturelle et morale de la nourriture », de Maguelonne Toussaint-Samat, Larousse.
Revue : « Saveurs et cuisine du Maroc », n° 9 janvier-février 2007.
Le thé au safran
Amener à ébullition un litre d'eau. Déposer au fond d'une théière 5 g de thé vert de Chine. Verser un peu d'eau bouillante sur le thé, laisser macérer 30 secondes et jeter cette première eau qui est amère. Puis verser le restant d'eau dans la théière. Poser le couvercle et laisser infuser 3 à 5 minutes. Ajouter les filaments de safran (0,5 g) et 40 g de sucre roux. Couvrir et laisser infuser un bon quart d'heure. Servir.
Pilons de poulet aux topinambours
Ingrédients :
- 4 pilons de poulet
- 1/4 C. à café de pistils de safran
- 2 c. à soupe d'huile d'olive
- 1 bouquet de persil et de coriandre
- 500 g de topinambours
- 1/2 c. à café de sel
- 1 citron
Préparation :
Dans une marmite ou une tajine, faire revenir les pilons de poulets dans l'huile. Saler et ajouter le bouquet de persil et coriandre. Ajouter le safran réchauffé sur le couvercle de la marmite. Ajouter un peu d'eau pour la cuisson des pilons. Quand la viande est presque cuite, ajouter les topinambours épluchés et lavés dans une eau citronnée. Laisser cuire encore 15 minutes. Ajouter le jus d'1/2 citron et servir chaud.
Attention aux fraudes
En raison de son prix très élevé, le safran est l'objet de toutes sortes de manipulations, soit pour falsifier son apparence, soit lui faire prendre du poids.
La fraude la plus courante consiste à ajouter au safran d'autres végétaux broyés ; il est également possible de réduire en poudre les étamines avec les stigmates pour augmenter le poids du produit fini. D'autres fois, des stigmates de carthame, de souci ou des barbes de maïs sont ajoutés au safran. Plus grave, on a parfois trouver des morceaux de végétaux teints artificiellement en rouge ou de la poudre de brique dans des épices censées être du safran.
Il faut acheter son safran entier, en filaments. Sa couleur doit être rouge vif ou grenat, son odeur forte, sucrée, et la macération des filaments doit laisser des traces jaunes sur les doigts.
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